Pourquoi le Brabant wallon a autant de terres à bâtir

Pourquoi le Brabant wallon a autant de terres à bâtir
Le Plan de secteur a déterminé quel terrain est à bâtir ou ne l’est pas en Brabant wallon. Il a donc donné une valeur à chaque parcelle du territoire. Critiqué de longue date, il n’en reste pas moins incontournable, faute de mieux. Retour sur une conception qui impacte notre quotidien.
Texte : Xavier Attout - Photo : Maureen Schmetz
Le Plan de secteur a déterminé quel terrain est à bâtir ou ne l’est pas en Brabant wallon. Il a donc donné une valeur à chaque parcelle du territoire. Critiqué de longue date, il n’en reste pas moins incontournable, faute de mieux. Retour sur une conception qui impacte notre quotidien.
Texte : Xavier Attout - Photo : Maureen Schmetz
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Pourquoi Waterloo est une commune ultra urbanisée alors que Genappe a été épargnée ? Pourquoi l’activité économique se concentre à Wavre et non pas à Ottignies ? Pourquoi Ittre et Ramillies sont les communes les plus préservées de toute urbanisation ? Pour répondre à ces quelques questions, il faut remonter bien loin. À la fin des années 1960, la Région wallonne décide qu’il serait opportun de mettre un peu d’ordre sur son territoire, dont l’aménagement prenait une mauvaise tournure suite à l’avènement de la voiture. Et surtout de déterminer les zones à développer en leur attribuant certaines fonctions. À l’époque, pour rappel, quiconque pouvait construire sa maison du moment qu’elle était située le long d’une voirie équipée, de quoi créer une certaine anarchie. Des bureaux d’études vont alors plancher, pour chaque province, sur l’élaboration d’une carte qui dessinera le devenir de telle ou telle commune. Cet outil s’appellera le plan de secteur. Il est toujours d’actualité aujourd’hui – même si régulièrement décrié. En Brabant wallon, c’est le CREAT (Centre d’études en aménagement du territoire de l’UCLouvain) qui a été chargé de remplir cette mission. Elle s’étendra sur plus de dix ans à partir de 1967. « Un travail colossal, se souvient l’ancien directeur du CREAT Pierre Govaerts, qui a piloté ce chantier. La loi de 1962 (ndlr : la loi organique de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme) fixait la nécessité d’avoir des plans. Mais nous partions pratiquement de zéro. Les données et les connaissances étaient extrêmement limitées. Nous travaillions sur base de cartes militaires à l’échelle 1/10 000 et de photos aériennes en noir et blanc. Elles permettaient de relever les espaces agricoles, les forêts, les espaces verts, les ressources en minerais. Des cartes relatives à la qualité des sols et des paysages existaient aussi. De même que certains plans communaux. À partir de là, nous nous sommes lancés dans une bonne répartition des fonctions et leurs possibilités d’extension. Mais nous avons aussi et surtout confirmé des situations existantes. Pour la zone d’habitat, beaucoup de terrains étaient déjà occupés par des lotissements. Wavre avait par exemple déjà réalisé un plan d’aménagement duquel il fallait partir, même s’il était surdimensionné en matière de zones à bâtir. »
Je n’ose imaginer quel serait le développement du Brabant wallon sans le plan de secteur. Il a cadré l’étalement urbain. L’outil n’est bien évidemment pas parfait mais son grand mérite est d’exister. Yves Hanin, sociologue et urbaniste
Yves Hanin, sociologue et urbaniste
L’influence des grands propriétaires fonciers
L’avantage qu’a eu le bureau d’études est que peu de monde ne comprenait vraiment l’intérêt et les enjeux futurs qu’engendrait la définition de l’affectation du sol et de son étendue. Alors que ce procédé déterminait tout simplement la valeur de chaque terrain. « Le plan de secteur a le mérite de protéger les fonctions faibles (écoles, équipements publics, etc.) en déterminant leur implantation, lance le sociologue et urbaniste Yves Hanin, actuel directeur du CREAT. C’est aussi un outil de régulation de l’affectation du sol, c’est-à-dire des fonctions, ce qui va indirectement influencer le prix des terrains. » Un champ inscrit en zone à bâtir plutôt qu’en terre agricole, et c’était le pactole assuré. Mais l’idée que de grands arrangements ont été actés en coulisse voire que les grands propriétaires fonciers du Brabant wallon (Boël, de Merode, Solvay, Janssen, Goblet d’Alviella, Dumont de Chassart, de Dorlodot, etc.) ont pu avoir une influence manifeste sur le plan de secteur reste de l’ordre du grand fantasme. « Pas à ma connaissance en tout cas, lance Pierre Govaerts. Certains, comme la famille Dumont de Chassart, ont même explicitement demandé que leurs terres gardent leur fonction agricole. » Reste que, bien évidemment, certains petits arrangements ont été validés. Même si personne ne le dira tout haut. « Les anecdotes sont multiples mais les jeux d’influence ont été peu nombreux », poursuit Pierre Govaerts. Reste que chaque bourgmestre espérait à l’époque obtenir le plus de terres à bâtir. « Il est évident que le plan de secteur a été trop généreux par rapport aux zones à bâtir, lance Yves Hanin. Mais les auteurs se basaient sur les perspectives économiques et démographiques de l’époque – surestimées pour ces dernières – et sur les principes d’alors, à savoir que la qualité de vie était meilleure à la campagne qu’en ville. Mais cela n’impliquait toutefois pas de n’avoir que des quatre façades, ce vers quoi nous sommes arrivés. Et puis les auteurs pensaient que les communes allaient prendre le relai en déterminant plus précisément l’orientation de leur territoire (ndlr : via les schémas de structure communaux). Mais ce n’est jamais vraiment arrivé. »
La responsabilité des élus communaux
On l’a compris, ceux qui se plaignent aujourd’hui de l’ultra-urbanisation du Brabant wallon doivent principalement s’en prendre au plan de secteur. Et un peu moins aux responsables politiques actuels, même si c’est aux élus communaux d’octroyer un permis ou de cadrer le développement d’une zone. Car si le plan de secteur détermine ce que l’on peut construire, il ne dit pas comment construire. Il faut donc éviter de croire que le plan de secteur fournit toutes les règles ou orientations. « D’autant que la manière d’urbaniser les terres à fortement évolué, fait remarquer Yves Hanin. Et c’est sans doute cela qui pose le plus de problème d’incompréhension. Auparavant, le plan de secteur était largement mis en oeuvre par les permis de lotir qui prévoyaient par exemple une surface commercialisable de parcelles selon les moyens des acheteurs (entre 7 et 15 ares ou beaucoup plus comme à Lasne). L’idée était que le lotissement n’était qu’un ensemble de parcelles (villa et jardin) avec peu d’espaces publics, et l’autopromotion était la règle. Aujourd’hui, ce modèle a largement laissé la place à une prise en charge par la promotion où la surface dépend plus d’un projet global vendu par des promoteurs. Le bonheur n’est plus uniquement dans le jardin mais dans la proximité des services. Le développement urbain est dorénavant pensé par quartier. Donc, si le plan de secteur est un outil d’aménagement du territoire, ce qui fait surtout défaut, c’est le débat sur la forme urbaine avec ses espaces bâtis, ses espaces verts et ses espaces ouverts. »
Si le plan de secteur est un outil d’aménagement du territoire, ce qui fait surtout défaut, c’est le débat sur la forme urbaine avec ses espaces bâtis, ses espaces verts et ses espaces ouverts. Yves Hanin, sociologue et urbaniste
Quel avenir aujourd’hui pour le plan de secteur ?
Critiqué par certains, il n’en reste pas moins incontournable. Il ne peut être supprimé. Et repartir d’une page blanche parait inconcevable. Dédommager les propriétaires fonciers qui seraient lésés par un changement d’affectation est tout aussi irréaliste financièrement. « Je n’ose imaginer quel serait le développement du Brabant wallon sans le plan de secteur, observe Yves Hanin. Il a cadré l’étalement urbain. L’outil n’est bien évidemment pas parfait mais son grand mérite est d’exister. Une des modalités pour cadrer l’étalement l’urbanisation serait de déterminer des temporalités avant d’actionner certaines réserves foncières. » Et Pierre Govaerts de conclure : « Sans plan de secteur, cela aurait été une catastrophe. Mais aujourd’hui, il aurait été impossible de réaliser un plan de secteur vu les intérêts divergents. Tout le monde aurait voulu avoir son mot à dire.»
À QUOI SERT UN PLAN DE SECTEUR ?
Il s’agit d’un outil règlementaire d’aménagement du territoire. Il organise le territoire wallon et en définit les différentes affectations afin d’assurer, comme le détaille la Région wallonne, « le développement des activités humaines de manière harmonieuse et d’éviter la consommation abusive d’espace. » La Wallonie est couverte par 23 plans de secteur, adoptés entre 1977 et 1987. Le plan de secteur est divisé en zones destinées à l’urbanisation (zone d’habitat, de loisirs, d’activité économique, etc.) et en zones non destinées à l’urbanisation (zones agricoles, forestières, espaces verts, etc.).
75 % DU BRABANT WALLON N’EST PAS URBANISABLE
En Brabant wallon, les trois quarts du territoire sont en zones non urbanisables, dont 62 % sont en zones agricoles. En ce qui concerne les autres affectations (forêts, espaces verts, zones naturelles et parcs), elles concernent principalement des territoires localisés dans le centre de la province.
Le Brabant wallon a une superficie totale d’environ 1 100 km² mais seulement 206 km² sont urbanisés (18,9 % du territoire). Et parmi les terres urbanisées, 140 km² sont dédiés à la fonction résidentielle (soit 68,5 %).
Ajoutons qu’un peu moins de 30 km² n’ont pas d’affectation précise. En effet, 25 km² du territoire sont en zones d’aménagement communal concerté (ZACC). Cela signifie que ces territoires pourraient, s’ils sont activés par les élus communaux et la Wallonie, être affectés aussi bien en zones urbanisables qu’en zones non urbanisables en fonction des besoins.
Interview
«Ne rouvrons pas la boite de Pandore»
Francis Haumont, fondateur du cabinet d’avocat HSP
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’outil Plan de secteur ?
J’ai un regard très positif. 87 % du territoire de la Région wallonne est en zone non urbanisable, c’est assez extraordinaire. On peut bien évidemment encore discuter sur les 13 % restant. Mais un travail remarquable a été réalisé à l’époque.
Avec le recul des années, ont-ils été bien conçus il y a 40 ans ?
La multiplication de l’urbanisation en ruban le long des voiries a été une erreur. Beaucoup de terrains ont également été prévus en ZACC (zone d’aménagement communal concerté), histoire de contenter tout le monde. Ce qui n’était pas une bonne idée. Ces décisions étaient basées sur un taux de consommation du sol par habitant bien trop élevé. Ce qui fait que nous nous retrouvons aujourd’hui avec des zones inadéquates par rapport à la consommation d’énergie, la mobilité ou l’aménagement du territoire. D’une manière générale, l’espace dédié aux zones à bâtir a été bien trop généreux.
Peut-on encore rectifier le tir aujourd’hui ?
Il existe la règle de la compensation : c’est-à-dire que l’on retire une zone à bâtir à un endroit pour la déplacer ailleurs, avec indemnisation si moins-value. C’est un mécanisme très intéressant qui devrait être davantage utilisé. Je plaide depuis longtemps pour la mise en place d’une banque foncière de compensation. Elle n’a malheureusement pas encore pu voir le jour.
La révision ou la suppression des plans de secteur revient régulièrement sur la table. Une bonne idée ?
Non. Ce serait rouvrir la boite de Pandore. Il vaut mieux corriger ce qui a été fait. Pour le reste, tout environnement évolue. On ne peut arrêter toute construction si elle respecte les règles.
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