MétamorpHOUSE : quatre façades, plusieurs vies ?
Une maison reste-t-elle un bien toute notre vie ? Trop vaste et inadaptée l’âge avançant, elle peut vite se transformer en un véritable fardeau pour les personnes âgées. L’architecte suisse Mariette Beyeler propose une alternative : adapter sa maison au fil de sa vie. Une métamorphose de la maison et du cadre de vie qui peut apporter sa pierre à l’édifice pour réduire l’étalement urbain.
Texte : Karima Haoudy – Photo : Ralph Feiner - Schémas : Mariette Beyeler
Partage
Transformer sa maison au fil de sa vie. Voilà là le projet ambitieux du livre MétamorpHouse qui invite à considérer l’habitat comme un matériau, résolument évolutif. Douze exemples illustrent de manière concrète, depuis la transformation intérieure jusqu’à la croissance extérieure, comment adapter son chez-soi, en fonction des besoins des personnes âgées, et réinventer d’autres formes de partage des espaces. Au-delà du chez-soi, cette réinvention s’étend à la rue et au quartier. Focus ici avec Mariette Beyeler sur les initiatives qui mettent en pratique une densification douce et choisie. Une stratégie qui pourrait être intéressante sur le territoire du Brabant wallon confronté également au défi du vieillissement de sa population et à la requalification des quartiers de maisons quatre façades, particulièrement prégnants dans le tissu bâti. Car même si l’offre en appartements tend à augmenter, près de treize communes présentent un parc immobilier constitué par plus de 50 % de ce type d’habitat. Quatre façades, plusieurs vies, que faire de ce gisement résidentiel ?
ESPACE-VIE. Quelles sont les raisons qui vous ont conduite à vous pencher sur l’évolution de la maison individuelle ?
MARIETTE BEYELER. Je suis architecte et m’étant intéressée, en tant que professionnelle et enseignante à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, à l’habitat collectif, je me suis rendu compte que la maison individuelle était souvent délaissée du champ de la recherche. On y porte toute son attention au moment où elle sort de terre mais après, peu de réponses sont apportées à son adaptation aux mutations des besoins des personnes âgées. Comment la maison individuelle s’adapte au maintien à domicile des seniors ? Comment composer avec ce « patrimoine » pour répondre au défi de la transition écologique alors qu’elles étaient le symbole par excellence de la consommation (énergétique, foncière, autosolisme, etc.) et de la propriété privée ? Toutes ces questions m’ont incitée à investiguer les possibilités de ré-usage de la maison qui, en Suisse comme en Belgique, représente un bien acquis souvent pour la vie. Cela va de la conception de constructions sans obstacles qui composent avec les contingences de la réduction de la mobilité des personnes âgées, à la subdivision interne permettant de créer des pièces supplémentaires, en passant par la création, au sein des parcelles souvent généreuses sur lesquelles s’érigent ces maisons, de logements supplémentaires. Des logements qui permettraient d’accueillir un membre de sa famille, voire d’envisager une cohabitation, dans une dynamique de décloisonnement des générations.
MétamorpHouse est un livre mais, aussi, un laboratoire à ciel ouvert. Pouvez-vous nous en dire plus de cette métamorphose du projet ?
En effet, le livre est né en 2010 et a pu être concrétisé grâce à des fondations privées. Très vite, certains pouvoirs publics en Suisse se sont emparés de cet enjeu, notamment les communes qui sont confrontées à une carence d’espaces et à une coriace pression foncière entravant l’accessibilité au logement. Mais ces réalités concernent ou vont concerner l’ensemble du territoire suisse qui, depuis 2015, est régi par la loi sur l’aménagement du territoire révisée, laquelle mise sur le développement vers l’intérieur. Les communes, appelées à leur tour à réviser leurs instruments de planification, cherchent des possibilités de réutilisation des réserves foncières qui maillent le tissu de l’habitat pavillonnaire, afin de réduire drastiquement l’étalement urbain et le mitage du territoire. C’est le cas du programme pilote que j’ai mené, il y a cinq ans, à Villars sur- Glâne (commune de 12 000 habitants) dans l’agglomération de Fribourg. Ne disposant plus de terrains à bâtir pour ériger des maisons individuelles, les autorités locales nous ont sollicités pour créer des logements supplémentaires au sein des réserves « dormantes ». Par « réserve dormante », on entend tout le potentiel de densification concrète que l’on peut développer à partir de la maison et la parcelle dans laquelle elle s’insère. Un inventaire des réserves disponibles a été dressé par nos soins afin d’avoir une cartographie la plus précise des surfaces et des possibilités de densification. Cette initiative s’inscrivait dans le cadre de la révision du Plan d’aménagement local et reposait sur une forte implication des propriétaires privés, dès l’amont du processus. Cette dimension participative est essentielle, mais elle présentait des limites.
Pour comprendre:
www.metamorphouse.info

Au fil de mes travaux sur la densification, j’ai pu observer la relation étroite et inséparable entre le dedans et le dehors. Un projet de densification n’a de sens que s’il y a concomitamment un projet de développement du quartier. Mariette Beyeler, architecte suisse.
Quelles sont-elles ?
Faire accepter la densification n’est pas chose aisée. Pour ce faire, nous avons organisé des ateliers de sensibilisation lors d’événements publics, rassemblant plus de 120 propriétaires, pour expliquer le sens de la démarche et cerner les freins à la réalisation de projets qui gravitaient autour de questions juridiques, économiques, écologiques et sociales. À partir de l’identification de ces freins, nous avons mis sur pied des ateliers individuels pour répondre aux préoccupations que les propriétaires ne souhaitaient pas partager collectivement (questions familiales, juridiques, successorales, etc.). Nous espérions que les habitants puissent, à l’issue de cette expérience-pilote, en être les ambassadeurs mais cela n’a pas fonctionné. Les propriétaires voyaient dans cette expérience la concrétisation de leur intérêt individuel essentiellement. Pour aller au-delà de celui-ci, la commune a son rôle à jouer en ramenant l’échelle, plus large, du quartier et l’enjeu de sa revitalisation.
Du foyer au quartier, en quoi la densification peut-elle être un noyau de développement territorial ?
Au fil de mes travaux sur la densification, j’ai pu observer la relation étroite et inséparable entre le dedans et le dehors. Un projet de densification n’a de sens que s’il y a concomitamment un projet de développement du quartier qui mise sur la mobilité douce, la présence de services de première nécessité et de soins de santé, le développement de transports en commun à cadences régulières, la qualité des espaces publics, la réduction de la minéralisation des espaces, le renforcement du lien social et, bien entendu, l’attention portée à la réduction de l’empreinte écologique. Le développement, je le vois aussi dans la capacité des habitants à être les artisans « de leur rue » et à ne pas se laisser usurper cette capacité par des promoteurs qui construisent des projets de densification en rupture avec la maillage bâti et social.
En parlant de maillage social, est-ce que le voisinage peut être un obstacle à la densification ?
On a souvent rétorqué à la densification les réactions hostiles du voisinage qui voit son environnement transformé, impacté par la hausse de la population et de ses effets corollaires (mobilité, congestion du réseau viaire, etc.). Or, sur les expériences que j’ai conduites j’ai rarement rencontré une telle résistance. Cette idée est à prendre avec des pincettes.
Pensez-vous que la densification a son rôle à jouer contre l’étalement urbain ?
Dans la publication, nous avons pu relever un indice significatif : la densification ou la transformation, dans seulement ¼ des 300 000 maisons individuelles, d’un nouveau logement pour deux personnes permettrait l’accueil de 150 000 habitants supplémentaires. Par cette reconversion, on pourrait ainsi renoncer à la construction de 75 000 logements en rase campagne et réduire les besoins de bâtir de près de 2 500 hectares, soit la surface consommée en moyenne à l’échelle de la Suisse, sur plus de deux ans et demi. Des chiffres interpellants qui témoignent de la contribution du périurbain au défi de la transition écologique.

Photo et son schéma de la Maison Wiederkehr

Photo et son schéma de la Maison Hasenböhler
Interview
Le point de vue de la Fonctionnaire déléguée, Nathalie Smoes
Une métamorphose au cas par cas
Est-ce que cette expérience MétamorpHOUSE vous parle ?
Cette expérience me parle voire m’inspire tout particulièrement compte tenu des réalités du territoire du Brabant wallon où nous sommes également confrontés à ces deux enjeux saillants que sont le vieillissement de la population et la demande croissante de logements. Face à ces deux défis, deux voies s’offrent à nous : la première porte sur la construction par la promotion immobilière de nouveaux logements, la deuxième voie consiste en la transformation par les propriétaires de leurs maisons. Deux solutions nettement différentes mais selon moi, complémentaires. La deuxième voie qui est celle empruntée par le projet MétamorpHOUSE rencontre astucieusement la priorité régionale du Stop béton par une réutilisation de l’existant et une réduction de la consommation des sols. C’est aussi une alternative qui me semble intéressante pour soutenir et encourager le développement de l’économie locale de la construction, là où dans la première voie la promotion immobilière s’adosse à une économie mondialisée avec comme clé de voute la quête de profit, même si elle permet de répondre à la demande plus importante de logements. Si chacune des voies présente des limites et des ressources, je serais plus encline à faire cohabiter les deux, à la nature de la demande et des spécificités locales.
« Au-delà de l’utilisation de l’existant, je plaide pour une architecture recyclable et flexible qui tienne compte, dès l’émergence du projet, des multiples vies d’un espace. »
N. Smoes, Fonctionnaire déléguée
Serait-il possible de faire un copier/coller en Brabant wallon ?
Cette expérience pourrait en effet être reproduite. Elle est déjà expérimentée ici et là par le biais d’initiatives individuelles mais une stratégie similaire, appliquée sur plusieurs unités de logements sur une partie du territoire communal, n’a jamais encore été réalisée. Ce qui me semble important c’est de maintenir le développement de ces démarches individuelles sans qu’il y ait nécessairement un projet de développement du quartier, postulat préalable du projet MétamorpHOUSE. Il est en effet parfois difficile de mettre en œuvre une stratégie de développement qui s’étend à l’échelle du quartier. La question de la mobilité freine souvent l’éclosion de tels projets. Or, ces dimensions, « plus macros », ne devraient pas décourager les démarches de densification portées par les habitants. Nous devrions fonctionner au cas par cas, à défaut d’une stratégie globale qui peine à se définir.
Quelles seraient les principales difficultés à transposer cette expérience ici en Brabant wallon ?
Le levier important se situe à mon sens au niveau des pouvoirs publics et de la prise de conscience du potentiel de reconversion de ces ensembles bâtis, véritable gisement résidentiel, comme l’indique Mariette Beyeler. L’enjeu demeure ainsi dans la sensibilisation des pouvoirs publics à cette stratégie de densification, même si cela risque de déplaire à certains habitants et d’entrainer de nouvelles façons et moyens de travailler pour les communes, comme celle de travailler avec de multiples intervenants (autant de propriétaires que de projets). Aussi, il faut que cette stratégie de densification soit assortie à une réflexion, qui m’apparait comme fondamentale, ciblée sur la production de logements qualitatifs et répondant à des normes de salubrité. L’accroissement de logements induit par la densification ne doit pas être synonyme d’érosion des conditions de vie. La densification doit être accolée à une quête qualitative des espaces intérieurs et extérieurs.
Quelles pourraient être les retombées ?
Il me semble que cette opération menée en Suisse pourrait ici – même si elle ne résout pas à elle seule, comme je l’ai indiqué, la problématique de l’offre de logements – être utile pour adapter localement certaines demandes de logement. À la stratégie globale répondant à des densités plus conséquentes pourraient se déployer des initiatives localisées et en écho aux spécificités de chaque portion du territoire.
Comment voyez-vous l’avenir de l’habitat pavillonnaire en Brabant wallon ?
Avant d’entrevoir son avenir, il est nécessaire de faire un saut dans l’histoire de l’habitat, qui nous enseigne que ce type d’habitat a connu, après la Seconde Guerre mondiale, une expansion rivée à l’utilisation de la voiture mais aussi une diminution de ses qualités bâties. Dès lors, cet habitat, à l’aune des contingences énergétiques et économiques, apparait comme obsolète. Toutefois, il renferme aussi en tout ou en partie un potentiel. L’environnement dans lequel il s’inscrit (verdure, configuration des ilots, configuration de l’ensemble, etc.) présente des qualités recherchées tout particulièrement à l’heure actuelle. Ce qui pourrait être intéressant c’est d’envisager une reconversion de ces volumes dans leur entièreté mais aussi partiellement avec, par exemple, la démolition de l’élévation et la conservation de l’emprise au sol, assise pour ériger une nouvelle construction plus en écho avec les réalités énergétiques et démographiques.
Au-delà de l’utilisation de l’existant, je plaide pour une architecture recyclable et flexible qui tienne compte, dès l’émergence du projet, des multiples vies d’un espace. Cette modularité, que l’on retrouve dans les espaces bâtis des 19e et 20e siècles, devrait nous guider pour les nouvelles constructions. Enfin, l’avenir je l’entrevois avec l’implication renforcée des pouvoirs publics qui prennent en main l’intérêt général afin que ce type de ré-usages ne soit pas que l’apanage du privé et qu’il puisse répondre aux besoins en termes de logements qualitatifs et économiquement accessibles au plus grand nombre.
Les multiples métamorphoses de la maison via la densification
A lire également
J’habite, tu habites, nous habitons…

Comment répondre à ses besoins et ses désirs en matière d’habiter sans compromettre le bien collectif ? Une équation bien compliquée à résoudre. Des habitants de Chaumont-Gistoux se sont penchés sur cette question lors d’ateliers citoyens. Retour sur trois témoignages, fictifs, mais librement inspirés par ces échanges.
Le génie du lieu, une création collective

S’emparer d’un lieu pour le transformer en espace public est le cheminement classique de nombreux projets. Y adjoindre un récit du faire ensemble pour faire émerger un génie collectif est par contre bien plus compliqué. Elisa Dumay, de l’agence De l’air, active dans le champ de l’urbanisme culturel, nous démontre que c’est possible en racontant la création d’un espace public à Teil, dans la vallée du Rhône.
« La densification des villages est un vrai modèle d’avenir »

Bimby, Yimby, Wimby. Les acronymes se succèdent mais les objectifs restent. L’avenir de nos quartiers de quatre façades s’écrit toujours plus en pointillés, écartelé entre la couteuse rénovation de villas obsolètes et la densification douce des grands jardins. Des modèles à réinventer en Brabant wallon. Et qui pourraient bien s’inspirer du succès de certaines opérations françaises.
Quand l’agriculture urbaine s’enracine

L’idée d’encourager l’agriculture urbaine dans les projets immobiliers sous forme de charge d’urbanisme fait son chemin. Le ministre de l’Aménagement du territoire y est notamment favorable. De son côté, une spin-off de Gembloux Agro-Bio Tech tente d’implanter le concept auprès du privé et du public. Des projets existent, notamment à Ottignies-LLN.
Au début était Minecraft

Le Liège Game Lab utilise le jeu vidéo de construction comme outil de médiation culturelle dans des projets de réinvention urbanistique. Les jeux vidéos sont aussi objets culturels et, depuis quelques années, sujets de recherche.
L’étalement urbain, plus d’espace… pour le débat

Cap sur 2050. L’étalement urbain aura alors pris fin. C’est du moins ce que prévoit la Wallonie. Pour y parvenir, une série d’actions sont mises en oeuvre. Comme celle de lancer dans les prochaines semaines des Arènes du Territoire. Enceintes de débats, ces arènes wallonnes s’inspirent de l’expérience des Arènes européennes de la Transition énergétique. Territoire, transition, étalement urbain… On reste finalement dans la même enceinte circonscrite par un dessein commun : se réapproprier l’avenir.