Les multiples possibles de la ville sensible

L’aménagement de nos villes et communes semble manquer d’émotion et de passion. Un urbanisme de l’efficacité qui tranche avec les aspirations des citoyens. La ville sensible entend remédier à ce problème. Et retisser des liens avec les sens, la vie collective et la sécurité dans l’espace.

Propos recueillis par : Xavier Attout

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L’architecte-urbaniste Paul Vermeylen est président de For Urban Passion. Un think tank d’urbanistes et d’aménageurs dont l’objectif est de contribuer au débat sur les enjeux de la ville de demain. Elle organise plusieurs débats par an. Et celui organisé en mai 2019 a entrainé la publication d’un ouvrage paru début septembre. Interview.

Qu’est-ce qu’une ville sensible ?

On dit souvent que la ville, ce sont des flux, des données quantitatives, c’est en somme une smart city. Mais le vécu des habitants est aussi important que ces données dans la mesure où ce sont nos émotions qui rendent la ville sensible et qui nous permettent d’agir. Ce livre est le résultat d’un groupe de travail et d’intervenants de différentes villes européennes qui nous ont rejoint pour réfléchir à la place de la sensibilité et de la perception dans la ville.

Les villes ne seraient donc pas suffisamment sensibles. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

Je vais prendre deux exemples. La manière dont la femme vit la ville est bien différente de celle d’un homme. Elle se comporte notamment différemment dans l’espace public. Quand elle doit s’installer sur un banc, elle choisira toujours un banc adossé à un mur. Et non un banc par derrière lequel on peut circuler. C’est une question de sécurité. Autre exemple : comment vit-on la ville la nuit et comment peut-on réduire la crainte engendrée par la peur du noir ? Il existe des approches par le biais d’un travail sur la lumière qui permet de sécuriser la ville. Isabelle Corten en parle dans le livre. Les politiques développées aujourd’hui doivent être celles d’une ville sans crainte. Cela signifie que l’on doit oser faire des choses qui ont une aspiration citoyenne. Cela rejoint quelque peu l’urbanisme tactique. Ce qui signifie qu’on aménage la ville sans plan. En tâtonnant, nous renversons le modèle.

Est-ce une nouvelle forme d’urbanisme que vous souhaitez mettre en place ?

Dans l’urbanisme, on parle beaucoup de ménagement et non d’aménagement. Nous sommes aujourd’hui dans une démarche thérapeutique. Soit dans le fait de réparer certains éléments plutôt que d’aménager, voire de construire de nouveaux. Nous sommes donc dans un urbanisme des petits pas, qui répond à ce que sont les émotions de la ville ( joie, peur, crainte). La puissance des émotions d’une ville est ce qui la rend humaine. L’espace, la rue, la place, on peut en quelque sorte considérer qu’il s’agit du salon de la ville. Le lieu où l’on se sent bien. Cela permet de marquer l’appropriation de la ville par ses habitants.

On a l’impression que la ville sensible rassemble une série d’éléments qui ont été historiquement oubliés en urbanisme ?

En effet. La demande des habitants est désormais d’être davantage un partenaire dans la réinvention de la ville. Ils veulent y apporter leur sensibilité, parvenir à pacifier l’espace et à se le réapproprier. La nouvelle dimension qui apparait dans l’urbanisme est l’aspect collectif. Il faut donc trouver la manière de réconcilier la chose publique avec l’aspiration de partage qui est en train d’émerger aujourd’hui.

Quand on développe des lotissements en Brabant wallon, il n’est pas rare que l’on fasse appel à deux ou trois architectes. Il y a un abandon de la conception unique pour prôner la diversité.
Paul Vermeylen, urbaniste

Qui peut mettre en oeuvre cette ville sensible ?

Ce n’est pas défini. Des urbanistes, j’espère. L’urbaniste doit, plus qu’avant, fédérer des savoirs et être ouvert à de nouvelles approches. Le métier devient de plus en plus étendu dans divers champs de compétences. Les architectes stars ont permis la construction de grands projets. Aujourd’hui, on voit que d’autres demandes citoyennes apparaissent. Ces grands projets sont rejetés. On tend vers des villes plus humaines. Les urbanistes travaillent davantage sur des petits projets. Quand on développe des lotissements, en Brabant wallon notamment, il n’est pas rare que l’on fasse appel à deux ou trois architectes. Il y a un abandon de la conception unique pour prôner la diversité.

Pourquoi avoir évoqué Louvain-la-Neuve dans cet ouvrage ?

Le livre rassemble une dizaine d’interventions extérieures. Dont une évoque cette ville du Brabant wallon. Ce n’est plus une ville nouvelle mais sa conception a permis de démontrer qu’il est possible de mettre en oeuvre des éléments sensitifs. Il reste d’ailleurs un capital sympathie élevé vis-à-vis de cette ville, c’est symptomatique de sa réussite.