
Les multiples enjeux du « suburbrabant »
Le Brabant wallon s’est construit ces dernières décennies autour de lotissements quatre façades. Un consortium d’architectes s’est penché sur les possibles réinventions de ces territoires suburbains, prenant Rixensart comme laboratoire d’expérimentation. Il en ressort quatre récits fictifs pour lancer les réflexions.
Texte : Xavier Attout - Récits : Guillaume Vanneste - Photos : Michiel De Cleene
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Vu de l’extérieur, le Brabant wallon peut sembler bien monotone pour certains architectes ou urbanistes étrangers. Avec notamment un immense tissu résidentiel périurbain fait de villas et de jardins. Des espaces qui, d’ici peu, devront être réinventés à l’aune des enjeux environnementaux, énergétiques et sociaux qui vont encore s’accentuer. Particulièrement dans les communes situées dans le centre du Brabant wallon, autour de Louvain-la-Neuve, où les lotissements se sont multipliés. « Certains lieux de la partie centrale du Brabant wallon présentent l’apparence d’un cadre de vie ordinaire où le bien-être rime avec habitat et propriété individuelle, villa et SUV, trampoline et haies bien taillées, analyse Guillaume Vanneste, fondateur du bureau d’architecture et d’urbanisme vvv et chercheur à l’UCLouvain, qui a piloté une recherche sur le sujet1. Ces vastes zones suburbaines, remplies de « villas quatre façades », sont comme de grands tapis qui ont oblitéré les tracés anciens, englobé les centralités historiques en se camouflant entre les arbres et les champs, et qui sont devenus aujourd’hui le paysage. Ces territoires sont une réalité concrète pour des dizaines de milliers d’habitants. »
La manière de transformer ce parc de logements fait partie des grands défis à relever. Que ce soit pour suivre les exigences en matière de rénovation énergétique, pour s’adapter aux nouveaux besoins démographiques ou aux évolutions de la société. « Aujourd’hui, ces espaces sont rattrapés par le temps et leur modèle semble insoutenable face aux enjeux de la société contemporaine, ajoute Guillaume Vanneste. Ces espaces périphériques sont-ils capables de muter vers un projet de ville qui assume une forme de transition ? Une transition des modèles de mobilité, de consommation des énergies ou des ressources, une transition des modèles de vivre ensemble et de production de l’habitat. Si oui, par quoi cela doit-il se faire et comment s’en inquiéter ? S’agit-il comme souvent évoqué de proposer des modifications morphologiques qui visent à densifier ? Ces quartiers peuvent-ils s’hybrider à d’autres formes d’urbanisation ? Quelle est la place du travail au coeur de ces lotissements ? Autant de questions auxquelles il faudra bien trouver une réponse. »
Certains lieux de la partie centrale du Brabant wallon présentent l’apparence d’un cadre de vie ordinaire où le bien-être rime avec habitat et propriété individuelle, villa et SUV, trampoline et haies bien taillées. Guillaume Vanneste
Rixensart comme cas d’étude Pour étudier de plus près cette problématique, Guillaume Vanneste et son équipe se sont attardés sur le cas de Rixensart. Et ce via quatre témoignages fictifs qui décrivent une « exploration projectuelle des transformations futures de ces territoire suburbains. » « Cette recherche par le projet se penche sur des cas d’études, échantillons de villes, confrontant une série d’hypothèses transformatives sur le bâti, la ville et le paysage, détaille Guillaume Vanneste. Peut-on imaginer de transformer les typologies de logements ? Pourquoi ne pas remembrer les parcelles ? Peut-on mettre en débat les zones de recul des permis de lotir ? Et si on questionnait les dimensions collectives et écosystémiques de ces quartiers ? Pourrait-on refonder les rapports de production et de consommation de ces tissus suburbains ? »
Ces témoignages rassemblent en tout cas une série de propositions qui ne sont pas tirées de situations réelles. Ce n’était pas le but. Il s’agit plutôt de mettre en avant des actions qui impactent et modifient l’environnement collectif, à l’opposé des logiques individuelles. « Volontairement à l’écart d’une réalité administrative, de l’urbanisme des plans, des règlementations, les propositions de transformation, si elles ouvrent le champ des possibles, n’en sont pas moins des propositions de bon sens, à la recherche d’une forme d’opérationnalisation ou de réalisme budgétaire ultérieur, analyse Guillaume Vanneste.
Il ressort de ce travail exploratoire des récits qui questionnent la transformation de l’habitat en Brabant wallon en convoquant la démarche architecturale. Des récits qui mettent en perspective les enjeux de la réappropriation du bâti et de la réhabilitation de tout un tissu fragmenté. Extraits
Récit n°1 : La maison en colocation
« Ils sont dix à vivre dans la maison et pourtant l’ambiance reste assez calme. Ce n’est pas vraiment une colocation en réalité, chacun possède son studio avec une chambre, une kitchenette et une salle de douche. Mais au centre de l’habitation, il y a des grandes salles communes avec la cuisine, la grande salle à manger, un salon et la zone de détente, une sorte de bibliothèque avec quelques fauteuils. Lily espère pouvoir y trouver sa place. Benoit, un des cohabitants qui travaille au service urbanisme de la commune, expliquait que c’est le nouveau code territorial adopté dans les années 2030 qui a permis de modifier les règlements présents dans les lotissements et notamment de faire évoluer la règle de trois mètres des espaces de recul entre parcelles. C’est comme cela qu’ils ont pu commencer à combiner des terrains et des maisons entre elles pour faire les maisons collectives ou les crèches ou les coworkings qu’on trouve dans le quartier aujourd’hui.
Les habitants ont tous en commun de retrouver une forme de communauté mais de vouloir leur autonomie dans l’habitat. D’ailleurs chacun trouve son rythme comme il le souhaite, il n’y a pas de compte à rendre. Avec les nouveaux centres de quartiers installés dans les maisons rachetées en préemption par la commune, le quartier a pris une atmosphère plus vivante qu’il y a dix ans ! Il y a des salles de sport, quelques commerces et de l’horeca. Soit un cadre de vie plutôt agréable Lily semblait être intéressée par une chambre à louer. Pour les démarches administratives, il faudrait voir avec le secrétariat des résidences géré par l’asbl paracommunale qui est en charge de celle de Rixensart. Benoit lui avait expliqué que cela permet un gel des loyers. » G. V.
Récit n°2 : La maison à appartements
« C’est après la deuxième grande crise sanitaire, celle de 2024, au moment de sa séparation que Jérémy a opté pour un appartement compact dans cette « villa ». Cette ancienne maison a été surélevée et transformée en appartements, lui est au rez avec un bout de jardin, c’était un critère. Nadia traverse l’allée. C’est l’habitante du 2e, elle télétravaille souvent. Elle vit seule mais est assez extravertie, c’est le moteur de la petite vie entre les voisins de la villa. Que ce soit les BBQ d’été ou la gestion du jardin commun, c’est souvent elle qui lance les initiatives. Ça lui arrive de dépanner Jérémy en gardant sa fille Yaëlle de temps à autre.
Depuis cette rentrée, Yaëlle va à pied ou à vélo à l’école, quel bonheur, ne plus devoir faire les trajets. Il y a un tracé pedibus, qui profite du réseau de sentiers qui a été reconstruit ces dernières années. Il permet de relier les culs-de-sac et passe entre les clos et les jardins. Le jardin de ce côté-là s’ouvre via un petit portillon vers le potager collectif et une aire de jeux de quartier. C’était une maison isolée au centre du lotissement et la commune a fait usage de son droit de préemption pour acheter cette parcelle. Ça fait partie de leur programme de rénovation suburbaine, des opérations subsidiées pour des biens communs. Les maisons voisines ont rapidement ajusté leur clôture et leurs haies pour avoir un accès direct à ces nouveaux clos. » G. V.
Récit n°3 : La maison qui mêle habitat et travail
« Depuis qu’on a réinstauré la multiculture et que la ceinture alimentaire a racheté pas mal de terrain, il y a une biodiversité folle dans les champs d’en face. Farzaneh est coopératrice dans la coopérative de maraîchage, elle a à disposition un petit lot du terrain pour faire pousser ses fleurs. À midi, ils mangent ensemble dans la cuisine de la maison. L’atelier n’est pas équipé, après tout avec la maison si proche, c’est plus simple pour se cuisiner un petit quelque chose. Ça fait partie de ce qu’elle aime, travailler à la maison, partager son temps de manière équilibrée entre travail et vie privée. Alors qu’on mange dans la cuisine ne la dérange pas, c’est un peu l’interface entre l’atelier et la maison. Après un début de carrière endiablé, elle a choisi de ménager son rythme et de mêler sa vie et son travail simplement. La modification des règles sur les activités en zone d’habitat est tombée à pic au milieu des années 2020. Elle a directement fait construire cette grande serre qui s’ouvre aujourd’hui sur la nouvelle placette piétonne pour y faire pousser et y vendre ses plantes et ses fleurs des champs. » G. V.
Récit n°4 : La maison kangourou
« Le nouveau quartier d’hiver. Mamy y passe la plupart de son temps, frais en été, tempéré en hiver. En fait elle ne va plus très bien, c’était difficile pour elle de gérer sa grande maison seule depuis la mort de papy, une maison si grande, si couteuse en énergie et surtout si vide. Un sacré cout. La famille a alors fait le projet de se rassembler sous le même toit. Après de longues discussions, Judith s’est vue rassurée sur le projet. Les primes à l’intergénérationnel sont tombées à point nommé. La Fédération Wallonie-Bruxelles finançait les frais de déménagement des personnes seniores pour un rassemblement familial, et la Région wallonne intervenait sur certains travaux de réaménagement des maisons et appartements.
L’arrivée de Bernadette a été l’occasion d’un beau projet de vie communautaire, une maison kangourou, la famille comme voisin, c’était un sacré coup de jeune. Depuis quand n’avait-elle pas éprouvé ce sentiment de proximité ? Il fallait reconstruire les liens, réinventer des interactions. Mais c’était un vrai plaisir de voir son fils et sa petite fille plus souvent. Elle qui pensait restreindre son champ d’action en quittant son village d’origine, en réalité c’est tout un monde qui s’ouvre. De nouveaux paysages, de nouvelles rencontres, le centre de quartier installé dans le parc voisin où elle est bénévole une après-midi par semaine à l’école des devoirs. » G. V.
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