
Le génie du lieu, une création collective
S’emparer d’un lieu pour le transformer en espace public est le cheminement classique de nombreux projets. Y adjoindre un récit du faire ensemble pour faire émerger un génie collectif est par contre bien plus compliqué. Elisa Dumay, de l’agence De l’air, active dans le champ de l’urbanisme culturel, nous démontre que c’est possible en racontant la création d’un espace public à Teil, dans la vallée du Rhône.
Contribution extérieure : Elisa Dumay - Photo : De l'air
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Centre historique et névralgique de la commune du Teil dans la vallée du Rhône (8 000 habitants), le quartier Kléber doit connaître une transformation importante avec la démolition de l’îlot Garibaldi, insalubre et muré depuis des années. La libération de cet espace de 1 000 m2 est l’occasion de redonner à l’ensemble du quartier une grande bouffée d’air. Cet espace devient le sujet d’un futur projet à imaginer par la Commune en concertation avec les habitants. Celle-ci fait appel à l’agence De l’aire, une structure de médiation culturelle et urbaine, pour l’accompagner.
En premier lieu, il s’agit d’étudier quelles sont les ressources et les besoins prioritaires pour ce quartier patrimonial, multiculturel, fortement paupérisé et abîmé. Au travers d’une semaine d’immersion intitulée « Portrait de Quartier », De l’aire mène un diagnostic sensible et partagé du quartier vu à travers le regard de ses habitants petits et grands : cartographies des usages, photographies, dessins, visites guidées des lieux, parcours quotidiens… Ce travail est accompagné par l’ensemble des services municipaux (culturel, éducatif, prévention, urbanisme, services techniques) et par la Communauté de Communes.
De ce diagnostic ressort un besoin impératif de retrouver des liens sociaux dans un quartier autrefois très actif, fort de nombreux artisans et commerçants. Les habitants formulent aussi le désir d’espaces publics sans voiture et d’une centralité pour se retrouver. L’idée est alors lancée d’accompagner la démolition de l’îlot Garibaldi pour imaginer collectivement à cet endroit un espace public. Il s’agit d’engager une démarche créative de mobilisation citoyenne avec, là encore, l’ensemble des services municipaux. De l’aire accompagne et documente toutes les étapes avec un reportage photographique, des événements de rue, des apéros-chantier, les élus et les habitants qui viennent en nombre à chaque étape.
Urbanisme participatif, médiation culturelle, événements
Quid de l’espace laissé vide par l’ancien îlot ? Quid des résonnances possibles dans la vie de la rue Kléber ? La mise à jour des ressources humaines, sociales, architecturales et multiculturelles est plus que jamais nécessaire pour qu’un projet urbain fasse émerger de nouveaux espaces de vie. Un « atelier d’urbanisme participatif » est animé par De l’aire avec un urbaniste et une architecte-médiatrice. Il réunit mensuellement les habitants du quartier de même que la commune et le centre social. Son objectif : la pré-programmation de la place Garibaldi en quatre mois.
En parallèle est menée une opération « jardinage de rue » pour végétaliser et valoriser la rue Kléber, prétexte aussi à réactiver les relations de voisinage. Elle est ponctuée par des temps festifs et des banquets populaires qui permettent de faire des points d’information sur l’avancée du projet. La municipalité est totalement partie prenante, ingrédient essentiel pour la bonne marche de cette concertation hors-norme qui est aussi pour le maire et ses élus « un acte important de revitalisation du centre-ville ».
L’atelier d’urbanisme a mené à la création d’une place publique avec des usages ciblés : coin jardinage, mobilier, jeux, ombrages, terrasse… La municipalité confie ensuite à De l’aire la mission d’une maîtrise d’oeuvre participative pour aménager l’espace, avec l’aide des services techniques, de nombreux habitants et de toute une équipe rassemblée en résidence pour quelques jours : urbaniste, paysagiste, architecte médiatrice, collectif, artistes-constructeurs et photographe. Pendant six mois, la place est animée et aménagée petit à petit, avec sobriété, réemploi et de nombreux partenariats. On y retrouve jardinage en « tiers-paysage », scénographie et construction coordonnée par un collectif d’artistes-constructeurs, fresque photographique pour laisser in situ une trace pérenne du processus. Et, pour terminer, une inauguration officielle et festive.
Le comité de quartier créé pour l’occasion, poursuit petit à petit ces aménagements et organise des événements sur la nouvelle « place Garibaldi » avec une aide financière de la commune.
Un bilan plus que positif
Il en ressort qu’à partir d’une volonté politique forte et d’une bonne dose d’intelligence collective, beaucoup de choses sont réalisables. L’originalité d’une démarche créative, sur-mesure et intégrée dans son contexte, la confiance, le fabriquer-ensemble sont des éléments à retenir. La présence d’une structure tierce semble essentielle pour mettre en mouvement et en imagination tout le processus.
Une prise de risque est aussi nécessaire, avec des écarts aux démarches classiques. Cette vision de l’aménagement du territoire peut s’expérimenter sur les espaces publics comme sur de nombreux autres enjeux actuels liés aux transitions et changements dans la façon d’aménager nos territoires. Une garantie pour une appropriation citoyenne et une optimisation sur la durée.
Art, espace public et convivialité
Aujourd’hui, plus que jamais des initiatives artistiques voient le jour dans des espaces publics, hors des murs ou en dehors des institutions. C’est en partant de ce constat que le Centre culturel du Brabant wallon a souhaité orienter un questionnement sur cette réalité.
La journée Terreau qui a eu lieu le jeudi 15 juin 2023 au Centre culturel du Brabant wallon, invitait les acteurs culturels à échanger autour de la question : l’art dans l’espace public est-il un catalyseur de convivialité ? Les actes artistiques sont-ils nécessaires pour tisser du lien social, pour créer des lieux communs, pour contribuer au développement de nouveaux récits et de nouveaux imaginaires ? En quoi ces actes génèrent-ils de nouveaux rituels ?
Art, espace public et convivialité sont des notions qui se conjuguent ensemble. Elles encouragent à décloisonner les disciplines, à mi-chemin entre urbanisme, action culturelle et pratiques artistiques. Penser ces notions les unes avec les autres invitent à agir avec inventivité et accepter de jouer avec différents niveaux d’actions, de postures, et de temporalités.
L’objet de la journée a permis de voir comment à travers différentes expériences menées sur des territoires variés, l’usage de l’art peut être un point de rencontre qui permet de mieux habiter l’espace public (au sens politique, social, physique et symbolique). Plus spécifiquement, le pouvoir d’action des artistes ouvrant à la participation montre la capacité à se relier aux communautés par le récit et à fabriquer de nouveaux imaginaires.
> Anne-Esther Henao Chargée de projets pour PULSART
Plateforme de coopération culturelle pour les Arts contemporains et visuels, coordonnée par Centre culturel du Brabant wallon.
Pour en savoir plus
Un film documentaire libre d’accès a été réalisé pour documenter tout le processus et le partager largement. De l’aire travaille en France dans le champ de « l’urbanisme culturel ». Il s’agit d’une structure culturelle dédiée au portage de projets participatifs liés à l’aménagement du territoire et à des questions de vie publique.
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