La tentation du bitume
Texte : Karima Haoudy
C’est le titre de l’ouvrage d’Eric Hamlin et d’Olivier Razemon. Un ouvrage didactique qui nous montre comment l’étalement urbain se déploie. Décrié, critiqué, vilipendé, il continue pourtant « à tartiner de bitume les territoires » d’ici et d’ailleurs, selon l’éloquente expression empruntée par les deux auteurs.
Armés de leur sens critique et un tantinet humoristique, ils nous font voyager dans les territoires de la France qui partagent avec le Brabant wallon et la Wallonie des dynamiques communes. Ou plutôt, devrions-nous dire, des mécaniques, au demeurant pas toujours cohérentes, qui contribuent à produire une standardisation de nos paysages. Nous en parlions dans notre dernier Midi de l’urbanisme Plus moche la ville ? Pour endiguer la marée bétonnée, les auteurs ont saisi la nécessité de décortiquer ces mécaniques, conscientes et inconscientes. À l’abri de toute entreprise – stérile – de culpabilisation.
Première leçon intéressante, l’étalement urbain n’est pas une réponse à la hausse d’habitants ou d’emplois. On observe également cette dilation pour la Wallonie où depuis 1985 la consommation d’espaces bâtis grossit de plus de 42 %, alors que la population augmente d’un peu plus de 10 %. Nos modes de vie contribueraient donc à être le carburant de cette progression.
Deuxième leçon instructive, c’est l’inadaptation des outils stratégiques de planification qu’il faut urgemment réviser, à l’aune de la caniculisation du monde pour reprendre les mots justes de Frédéric Lordon. Tant qu’on est dans la révision de nos outils, les auteurs mettent en relief la nécessité d’avoir un étalon pour mesurer l’étalement urbain, c’est-à-dire d’avoir des repères communs.
Enfin, troisième leçon stimulante, qui est profondément inscrite dans l’ADN de notre Maison de l’urbanisme depuis 1989, c’est que pour appréhender et donc maitriser l’étalement urbain, il faut rassembler la diversité et l’altérité des points de vue et des intérêts. Articuler les antagonismes. Celui du promoteur, de l’élu, de la société civile, du chercheur et des habitants. De nous tous qui hébergeons en nous, aussi, des antagonismes entre le désir légitime d’un confort et le désir légitime d’un avenir durable. C’est cet archipel que nous sondons. C’est aussi le rôle des Arènes du Territoire que nous organiserons prochainement autour de cette question de l’étalement urbain. Une question qui nous rappelle que ce n’est pas tant l’urbanisation qu’il faut combattre mais bien « la fabrique insensible et technique de nos territoires ». Dernière leçon.

A lire également
Les articles les plus lus en 2021

Encore un peu de patience, la revue Espace-vie revient début juillet dans les boites-aux-lettres des abonnés ! D’ici-là, n’hésitez pas à redécouvrir ci-dessous une sélection des articles les plus lus en 2021.
Les recours, ce sport national

Février 2022 – Subir les affres d’un recours devant le Conseil d’État ou d’une autre autorité administrative pour s’opposer à un projet urbanistique est pratiquement devenu un passage obligé pour tout développeur digne de ce nom. Une donnée qui est aujourd’hui intégrée comme une fatalité.
Pour d’autres perspectives

Juillet 2021 – La rue. C’est là où tout a commencé. C’est dans la rue que l’affirmation de la domination a pris tôt ses quartiers, par une propagande coloniale qui s’est attelée à occuper inlassablement les paysages, bâtis et mentaux.

Mai 2021 – Appelant à une maitrise de notre consommation foncière, le zéro artificialisation mène aussi à une maitrise du devenir de nos territoires, bâtis et imaginaires. C’est du moins ce qu’ont révélé les résultats des Arènes du Territoire, mises en oeuvre par les huit Maisons de l’urbanisme et le SPW, présentés lors de la plénière de clôture du 19 avril.
Quatre façades, un retour à contresens

Mars 2021 – Des envies d’ailleurs. D’une grande maison. D’un beau jardin. D’oiseaux qui chantent. De calme et d’air frais. Si le Covid bouscule les habitudes et donne à réfléchir sur le monde de demain, il perturbe également particulièrement les urbanistes et autres experts en aménagement du territoire.
Au temps de la famine temporelle

Janvier 2021 – L’aménagement du territoire ? Pour qui et pourquoi ? C’est sous ce diptyque interrogatif que s’ouvre, en juin 1989, le premier Espace-vie. Un numéro 0 qui, dès son éditorial, amène tout de go l’enjeu d’un urbanisme participatif : pour qui et pourquoi ?