
« La crise a démontré la pertinence de notre travail »
La crise sanitaire fera-t-elle évoluer les pratiques urbanistiques ? Elle a en tout cas accéléré la perception par le grand public de bon nombre de principes éculés en la matière. Reste à voir si les retombées seront à la hauteur des enjeux.
Texte : Xavier Attout Photo : Atelier d'architecture DDV
Les concepts sont détaillés en long et en large depuis près de dix ans par la plupart des urbanistes. Tendre vers une ville durable, résiliente, conviviale, de proximité, où les espaces verts et les espaces publics sont les points centraux de nouveaux espaces urbains. Des concepts pour lesquels certains citoyens et politiques ne prêtaient qu’une attention toute relative jusqu’à présent. Renvoyant le plus souvent les urbanistes à leur master plan et autres études.
Depuis lors, le confinement est passé par là. De quoi accélérer les réflexions, tout en donnant à ces grands principes urbanistiques une exposition médiatique à nulle autre pareille. « Je ne sais pas si cette situation fera que nous serons davantage écoutés à l’avenir, explique l’architecte-urbaniste Benoit Moritz, qui s’est fendu ces derniers jours avec quelques acolytes de trois cartes blanches particulièrement éclairantes sur le sujet. Par contre, j’ai constaté que les principes urbanistiques que nous considérions jusqu’à présent comme évidents ont démontré leur pertinence. En ce sens, le confinement a, il est vrai, accéléré le mouvement. » Et Benoit Moritz de rappeler que de nombreux concepts qui font sens aujourd’hui ont en fait parfois déjà été étudiés il y a bien longtemps. Comme la problématique des transports en commun en surface dès… 2005. Ou l’impact des espaces verts sur la qualité de vie un peu plus tard.
Il ne faut pas nécessairement des appartements plus spacieux mais des espaces communs plus généreux. La tentation d’aller vers un mieux semble inévitable. Nous allons vers des logements plus qualitatifs. Benoit Moritz, architecte-urbaniste
Des logements plus qualitatifs
Affirmer que le travail des urbanistes sera facilité à l’avenir semble encore prématuré. Mais l’horizon se dégage quelque peu. « Les réflexions de ces dernières semaines ont surtout concerné les villes, explique celui qui a cofondé le bureau d’études et de projets MSA. Mais le Brabant wallon et les villes wallonnes sont également concernées, même si l’échelle est différente. Il est vrai que, en Brabant wallon, les centres-villes sont avant tout fonctionnels. Seules Wavre et Nivelles ont une configuration bien définie. Mais cela n’empêche pas de réfléchir sur la manière de mieux vivre ensemble. »
Les politiques de densification des centres urbains agitent les pensées de la plupart des responsables brabançons depuis plus de quinze ans. La crise sanitaire renversera-t-elle le concept, relançant dans la foulée le débat sur l’étalement urbain ? Si certains avis sont partagés, Benoit Moritz se veut plus tranchant : « Une idée à déconstruire est de croire que le virus s’est propagé dans les villes denses. C’est faux. Je plaide toujours pour une densification forte. Par contre, il faut dorénavant travailler sur les espaces communs en les rendant beaucoup plus généreux. Un exemple : les couloirs dans les immeubles devraient être bien plus larges (2,5 mètres au lieu de 1 mètre) pour permettre de mieux se croiser et de se donner de l’air. Il faut arrêter avec les cages à poules. Il ne faut pas nécessairement des appartements plus spacieux mais des espaces communs plus généreux. La tentation d’aller vers un mieux semble inévitable. Peu de personnes seront encore attirées par des logements dépourvus de terrasses, par exemple. Nous allons vers des logements plus qualitatifs. »
Vers quel type d’urbanisme allons-nous à l’avenir ? De nombreux concepts sont apparus ces derniers mois. Benoit Moritz veut quant à lui mettre en avant celui de l’urbanisme résilient. « Les espaces publics sont des biens communs bien plus fondamentaux que des infrastructures exclusivement dédiées à la voiture et au shopping. Il faut les renforcer, tout comme il faut favoriser les circuits courts et les commerces de proximité. Enfin, supprimons les inégalités sociales dans les conditions d’habitation. Je pense que nous sommes à un momentum pour y parvenir. Et le Brabant wallon peut aussi être ce laboratoire. »
Pour aller plus loin
> Retrouvez les trois cartes blanches qu’il a cosignées sur le site www.lesoir.be
> Le coronavirus va-t-il révolutionner l’architecture ? www.arte.tv
Partage
A lire également
300 numéros pour Espace-vie

Fondée en 1989, la revue Espace-vie publie ce mois-ci son 300e numéro. Trois décennies qu’elle tente de décrypter et vulgariser l’évolution du territoire brabançon. Une dizaine de fidèles lecteurs évoquent leur rapport à Espace-vie. Et leurs attentes pour les prochains numéros.
Waterloo ne veut plus être victime de son urbanisation

Waterloo freine désormais des quatre fers l’urbanisation et la densification de son territoire. Car la mobilité et la qualité de vie en pâtissent clairement. Remonter la pente sera délicat mais plusieurs grands chantiers sont sur la table pour inverser la tendance. Reste à voir s’il n’est pas trop tard. (Série 5/5)
« La réalité flamande n’est pas la réalité wallonne »

Après avoir lancé l’idée d’un Stop Béton en 2015, la Flandre garde toujours une longueur d’avance sur la Wallonie. Le gouvernement vient de valider le décret permettant l’arrêt de l’artificialisation des terres en 2040. Reste que ce Bouwshift (nouveau nom), dont les grands principes de mise en oeuvre seront dévoilés cet été, fait réagir. Interview avec le ministre wallon de l’Aménagement du territoire.
Le PECA, un partenariat renforcé entre enseignants et monde culturel

« Parcours d’Éducation Culturelle et Artistique » (PECA)… Que voilà une association de mots qui laisse planer une aura de mystère ! Le terme « parcours » a un petit côté martial et physique, tandis que les trois autres font rêver. Mais finalement, le PECA, c’est quoi ?
Nivelles, un avenir bien identifié

La cité aclote poursuit sa politique de densification et de réhabilitation de son centre-ville. Les projets de réaffectation s’y multiplient, même si cela prend du temps. Ses facilités en matière de mobilité et d’équipements séduisent en tout cas : près de 1 800 logements devraient voir le jour d’ici 10 ans. Reste à voir si cette situation n’entrainera pas une certaine indigestion. (Série 4/5)
« L’écart entre les discours et la pratique reste grand »

Les obstacles pour tendre vers le « zéro artificialisation » et pour freiner l’étalement urbain sont encore nombreux en Wallonie. Les Arènes du Territoire tentent actuellement d’en décanter les principaux. Densification, adhésion, révision, planification : tour d’horizon avec l’Inspecteur général Michel Dachelet.