Densifier. Et après?
Le Brabant wallon se densifie de plus en plus. Une politique qui ne fait plus débat vu les enjeux à venir. Reste que les conséquences et les contraintes liées à cette densification semblent peu prises en compte. Tant par les commune que les promoteurs ou la Wallonie qui délaissent les mesures d’accompagnement qui doivent permettre de construire des villes agréables à vivre. De quoi aller droit dans le mur ?
Texte : Xavier Attout Photo : Asymétrie
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Si les nouvelles tendances d’aménagement du territoire ont mis du temps à essaimer, elles sont aujourd’hui bien entrées dans les têtes. Tant dans celles des particuliers que des politiques. Densifier le logement aux alentours des gares et des lieux de service de manière à diminuer l’étalement urbain, les déplacements et répondre à la hausse démographique ne fait plus débat. Il s’agit d’une évidence aujourd’hui. Les projets intégrant ces nouvelles donnes se sont multipliés ces quinze dernières années. Surtout en Brabant wallon où les promoteurs ont trouvé un levier intéressant pour multiplier les appartements dans un environnement où la demande explosait. Avec bien évidemment quelques abus à la clé en matière de proportion. Et des conséquences périphériques telles qu’une indéniable hausse des prix de l’immobilier et une mobilité qui déraille.
L’heure d’un premier bilan a sonné. Et ce malgré les nombreux projets qui sont encore dans les cartons. Avec un constat plutôt clair : la manière dont les communes, promoteurs immobiliers, bureaux d’études et habitants ont appréhendé cette densification et géré les conséquences qui en découlent peut interpeller. « Il est en tout cas difficile de faire croire que la situation s’est améliorée en matière de qualité de vie, de renforcement du lien social entre habitants ou de mobilité », tranche l’urbaniste de l’UCLouvain Pierre Vanderstraeten. Cette densification a rarement été accompagnée de mesures concrètes, que ce soit en termes d’amélioration des espaces publics, des espaces verts, de mobilité ou, plus simplement, de qualité de vie. Le défi en la matière est donc important. D’autant que cette tendance va encore se renforcer à l’avenir.»
Il est en tout cas difficile de faire croire que la situation s’est améliorée en matière de qualité de vie, de renforcement du lien social entre habitants ou de mobilité.
Pierre Vanderstraeten, Vice-doyen de la Faculté d’architecture, d’ingénierie architecturale et d’urbanisme de l’UCLouvain
Densité de population dans les communes du Brabant wallon en 2018
«Waterloo a déjà fait sa part du travail»
Le niveau de densification à atteindre fait aujourd’hui encore débat. Si pour l’urbaniste Pierre Vanderstraeten, la densification du Brabant wallon est encore trop faible, le son de cloche est bien différent dans des communes comme La Hulpe, Rixensart ou Waterloo. Cette dernière freine d’ailleurs des quatre fers à chaque fois qu’un promoteur pointe le bout du nez. « Densifier le territoire wallon est une évidence, lance la bourgmestre de Waterloo, Florence Reuter. Mais il faut arrêter de densifier là où ce n’est pas nécessaire. Et, pour ma part, j’estime que Waterloo a déjà fait sa part du travail. Nous avons 1 400 habitants/km2 alors que la moyenne du Brabant wallon avoisine les 400 habitants/km2. Il est encore possible de densifier dans le centre-ville, là où il est possible de combiner logement et modes doux. Pour le reste, chez nous, les problèmes de mobilité sont trop importants pour continuer en ce sens. Et ce, malgré les offres alternatives que nous mettons en place. Ma vraie crainte est que, à terme, les habitants fuient Waterloo, l’air y devenant irrespirable vu les problèmes de mobilité. »
Construire les projets avec les riverains est essentiel. Car les premières réactions sont toujours négatives quand ils voient de nouvelles constructions arriver dans leur environnement
Christophe Hanin, échevin de l’Urbanisme de Rixensart.
Seuls sur leur ile
Plusieurs projets comprenant des centaines de logements ont émergé ces dernières années dans le paysage brabançon. Que ce soit Bella Vita à Waterloo, Les Papeteries à Genval, la Campagne du Petit Baulers à Nivelles, Court Village à Court-Saint-Étienne ou encore Les Jardins de l’Orne à Mont-Saint-Guibert. Sans parler des dizaines d’immeubles à appartements qui sont sortis de terre un peu partout. « Ce qui est frappant, c’est la relative indépendance de ces opérations immobilières par rapport aux tissus bâtis existant, poursuit Pierre Vanderstraeten. Il y a très peu de liaisons entre eux. C’est l’acteur régional (ndlr : le fonctionnaire délégué) qui doit déterminer cette cohérence et donner une vision de continuité. Cela fait clairement défaut. Il est pourtant nécessaire de penser d’une manière globale. » Un constat partagé par le sociologue et urbaniste Yves Hanin, qui relève également le manque de cohérence avec le bâti existant : « Ces projets de nouveaux quartiers ont souvent été conçus comme des poches au sein desquels on discute de beaucoup de choses mais rarement de l’articulation de la poche avec ses alentours, ce qui peut créer des concurrences notamment en matière de commerces et une difficulté d’avoir un effet de contagion positif. »
Pour chaque projet d’envergure, des études de mobilité et d’incidences sur l’environnement sont obligatoires. De quoi déterminer les impacts des aménagements futurs et les recommandations à suivre. Des éléments qui sont parfois largement sous-estimés. « Il faut savoir que les études d’incidences sont payées par le demandeur, ce qui biaise quelque peu les recommandations qui y sont inscrites, lance Serge Peeters, président de la Chambre des urbanistes de Belgique. Le promoteur cherche toujours le plus petit dénominateur commun entre les impacts à venir et les mesures à prendre. C’est pour cela que je plaide pour que l’on mette sur pied un fonds indépendant qui payerait les études d’incidences, de manière à objectiver un maximum ces études. » Sans parler du fait qu’elles ne sont que théoriques et que la réalité de terrain peut les contredire. « Il est évident que ces études se basent sur certaines hypothèses qui ne se réalisent pas nécessairement, fait remarquer l’échevin de l’Urbanisme de Rixensart, Christophe Hanin. Il faut donc rester prudent. Dans le cadre du projet des Papeteries de Genval, nous imaginions par exemple que le carrefour de Maubroux à Genval serait complètement embouteillé après la construction de la phase 2. Cela n’a pas été le cas. D’autres problèmes de mobilité sont toutefois apparus. »
Le Brabant wallon traine en fait comme un boulet son étalement urbain. Outre le cout à la collectivité, il génère d’importants problèmes de mobilité puisque la voiture est un moyen de déplacement inévitable. Densifier les zones situées à proximité des centres urbains ne fait de plus que rajouter un élément à une somme déjà bien fournie. « Le réseau de voiries du Brabant wallon n’a pas été conçu pour accepter autant de voitures, fait remarquer Jean-Marc Jadot, directeur des routes du Brabant wallon. Les autorités ont beaucoup de difficultés à se projeter dans l’avenir. Certains projets ont peu de conséquences de manière individuelle mais sont néfastes quand ils sont pris dans leur ensemble. Sans parler que les adaptations du réseau routier vont bien moins vite que les projets immobiliers. Nous allons donc clairement vers de grands problèmes de mobilité à l’avenir. » Et Pierre Vanderstraeten d’ajouter : « L’aménagement du Brabant wallon s’est en fait réalisé à l’envers. On essaye d’ajouter des lignes de transport aujourd’hui car des promoteurs se montrent intéressés par des projets. Or, il aurait fallu ne pas être dans la réaction. »
La quête de valeur ajoutée
Pour accompagner cette densification, des solutions existent pourtant. Elles sont d’ailleurs déjà déployées dans certaines villes étrangères. Le maintien voire l’amélioration de la qualité de vie y étant au centre de toutes les réflexions. Des éléments qui font actuellement le plus souvent défaut. « Pour l’heure, il est vrai que la densification entraine des nuisances, que ce soit en termes de qualité de vie ou de mobilité, reconnait Christophe Hanin. Il faut y remédier. Cela passe notamment par des plans de mobilité et des aménagements spécifiques. Car, aujourd’hui, les infrastructures ne suivent pas. » Pour y parvenir, la maitrise du foncier semble inéluctable, histoire de pouvoir résister aux pressions des investisseurs. « Il est bien plus facile d’améliorer la qualité de vie quand les pouvoirs publics ont la maitrise du foncier, reconnait Pierre Vanderstraeten. Les charges d’urbanisme ne sont pas suffisantes. »
D’autant qu’aujourd’hui le contrôle ou la vérification sur le terrain de la bonne application des charges semble faire défaut. « C’est un autre problème, qui est le plus souvent dû à un manque d’effectifs dans les services urbanisme », regrette Yves Hanin. Ajoutons que les communes n’accompagnent pas toujours non plus ces nouveaux quartiers par des travaux ad hoc. Le problème semble donc relativement large. « Or, avoir à l’esprit que la densification doit créer de la valeur ajoutée pour les habitants – tant les nouveaux que les anciens – est capital, estime Pierre Vanderstraeten. Sans cela, cela n’ira pas. De la valeur ajoutée, cela se traduit par des espaces verts, des zones libres de toute construction, des commerces, des crèches, des écoles. Il est important que le quartier soit agréable à vivre et non uniquement centré sur les voitures. Il faut aussi penser à l’occupation des rez-de-chaussée et aux espaces publics. Les rendre agréables et vivables est essentiel. Tout comme le fait de créer des services et des équipements accessibles, de manière à faciliter le quotidien des citoyens. Les promoteurs ne peuvent pas ne penser qu’à l’argent que va procurer cette densification. »
Interview
« Cerner les besoins réels du quartier »
Serge Peeters, président de la Chambre des urbanistes
Propos recueillis par X. A.
Comment peut-on mieux gérer la densification du territoire ?
Quand un nouveau projet arrive, la première chose à se demander est de connaitre quels sont les besoins réels de ce quartier. Que puis-je apporter de neuf pour améliorer la qualité de vie de l’ensemble des habitants, les nouveaux et les anciens ? Compléter le tissu existant est la base. Pour y parvenir, il faut multiplier les mesures d’accompagnement, de vivre ensemble et de participation citoyenne. Les communes et les services du fonctionnaire délégué ont un rôle essentiel à jouer en ce sens.
Les conséquences de la densification sont-elles suffisamment prises en compte par les communes ?
Clairement, non. Lors des négociations des demandes de projet, elles ne sont pas outillées pour pouvoir éviter les problèmes de cette densification, notamment en matière de retombées sur la circulation ou d’équipements. Il n’y a pas non plus suffisamment de suivi a posteriori, une fois que le projet est terminé.
La mobilité reste le point noir…
Les impacts sur la mobilité sont souvent sous-estimés car, lors d’un projet, l’étude de mobilité s’intéresse uniquement au nouveau quartier. Les conséquences ne sont pas prises dans un contexte suffisamment large. Aménager des routes et l’un ou l’autre carrefour n’est pas suffisant.
Quelles pistes de solution peut-on alors dégager ?
En Brabant wallon, vu l’étalement urbain et la densité encore trop faible, la moyenne des véhicules par ménage tournera toujours autour de deux unités. Il faut donc trouver des solutions à partir de ce constat. Ces problèmes de mobilité doivent être contournés en multipliant les fonctions dans les centres urbains. Cela passe par davantage de mixité. Le Brabant wallon est encore beaucoup trop résidentiel à certains endroits. Il faudra accepter que des entreprises ou des commerces s’implantent à proximité d’habitations.
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