
Cultiver les droits culturels, des textes aux faits
Adoptée en 2007, la Déclaration de Fribourg sur les droits culturels véhicule des notions d’identité, de diversité, de patrimoine, d’éducation… Au-delà des mots, se pose la question de traduire ces droits en actes pour les rendre effectifs. À Waterloo, un collectif solidaire, participatif et joyeux permet à des publics plus fragiles de questionner le monde et notre manière de l’habiter.
Texte : Caroline Dunski – Photos : Christel Ghin
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L’analyse partagée du territoire de Waterloo par le Centre culturel et ses partenaires sociaux culturels, citoyens et artistiques a permis de déceler une pauvreté cachée dans une commune réputée riche. « On a senti que quelque chose se jouait là, sans prendre conscience de l’étendue de cette pauvreté, explique Christel Ghin, animatrice chargée de projets éducation permanente du centre culturel. Depuis octobre 2021, Toi moi nous, un collectif solidaire, participatif et joyeux qui tente de développer un modèle de lutte contre la précarité cachée, offre des espaces de rencontres, des temps d’échanges et des moments créatifs qui permettent à chacun et chacune de pouvoir exprimer et partager ses envies, ses idées et ses témoignages par le biais d’activités artistiques et, progressivement, de devenir acteur ou actrice de changement.
Dès octobre 2021, après avoir sondé les diverses associations actives sur le terrain de la précarité, l’épicerie sociale « Espace convivialité » et le Centre culturel de Waterloo, avec les bénévoles de ces associations, ont tenté de faire venir aux activités du Centre culturel des gens qui habituellement n’entrent pas dans ses murs. « Beaucoup de personnes pensent que le théâtre est fait pour des gens qui ont de l’argent », confie Wivine Mayaya, responsable de l’épicerie sociale. L’idée est aussi de travailler sur la diversité culturelle, de sortir de l’image d’un centre culturel exclusivement réservé aux personnes ayant un certain niveau socioculturel. « Nous voulons désacraliser le lieu, que chacun se dise que cette maison-là est faite pour tous, souligne Christel Ghin. Bepop est déjà bien ancré dans la question des droits culturels, mais avec la crise énergétique, notre enjeu s’étend encore plus. Notre objectif est de lutter contre toutes les précarités : économique, sociale, culturelle et affective. »
Décloisonner pour faire ensemble
« Nous ne voulons plus cloisonner les bénéficiaires et les bénévoles des associations, souligne Wivine Mayaya, que beaucoup appellent « maman ». On fait venir les bénéficiaires à nos activités pour travailler ensemble sans distinction. » « On fait ensemble et avec, et non pour ou contre, dans un esprit solidaire et joyeux », ajoute Christel Ghin.
Deux axes d’actions se sont dessinés progressivement. D’une part la mise en route du collectif et de groupes de réflexion sur des thématiques telles que la fracture numérique et la mise à disposition de matériel informatique et, d’autre part, le développement d’activités artistiques avec différents ateliers. « Les premiers pas au sein du Centre culturel se sont faits via un atelier de cuisine, précise la responsable de l’épicerie sociale. Le Centre culturel a toujours été très présent. Il a fait don de places de théâtre. Les bénéficiaires s’étaient mis sur leur 31 pour venir à la salle Jules Bastin. »
Un collectif théâtral réunissant des amateurs, des bénévoles et des publics vulnérables s’est aussi constitué pour construire un spectacle partant des gens, de leurs besoins, de leurs ressentis et de ce qu’ils avaient envie de dire, avec l’aide de la compagnie de théâtre-action Collectif 1984. Une douzaine de personnes de 21 à 70 ans, aux profils très différents – comme des réfugiées ukrainiennes ne parlant pas français, un Péruvien, des personnes souffrant de fragilité psychique ou de difficultés sociales – se produiront sur la scène de la salle Jules Bastin en juin prochain. En attendant, chaque mardi, tout ce petit monde se réunit donc pour construire le spectacle en compagnie de Joëlle Regout, comédienne animatrice. Et comme certains et certaines ne maitrisent pas la langue française, l’animatrice les fait travailler sur le corps et amène du poétique. « Je travaille à partir d’images qui les touchent, en non verbal, sur le regard, la qualité de présence, la simplicité… Je ne sais absolument pas vers quel spectacle nous allons. Tente d’aller vers des choses universelles telles que la faim, la solidarité… »
On fait ensemble et avec, et non pour ou contre, dans un esprit solidaire et joyeux
Christel Ghin
Un « simple » atelier théâtral permet de tisser des liens entre des personnes très différentes, mais il suscite aussi de nouvelles dynamiques qui vont bien au-delà de l’acte de faire culture et art ensemble. Progressivement, Christel et Wivine ont vu émerger puis se mailler autour du collectif Toi moi nous des questions de nourriture, d’anti-gaspillage et de solidarité. « Quand une des réfugiées ukrainiennes s’est emparée d’une pomme et a fait mine de la croquer en tournant le dos à toutes les autres personnes qui avaient faim elles aussi, une discussion politique a émergé au sujet de qui détenait la pomme et pourquoi », se souvient Wivine Mayaya. Pour en revenir aux droits culturels, on voit ici apparaitre celui de participer au développement de coopérations culturelles pour devenir acteurs et actrices, producteurs et productrices de sens dans les projets qui les concernent. Un droit que la Déclaration de Fribourg consacre dans l’article 8.
Les droits culturels dans le texte
Adoptée en 2007, en douze articles, la Déclaration de Fribourg réaffirme que les droits culturels sont, à l’égal des autres droits de l’homme, une expression et une exigence de la dignité humaine et, qu’à ce titre, il faut favoriser leur reconnaissance et leur mise en œuvre, à la fois aux niveaux local, national, régional et universel. Par leurs actions, des organismes tels que les centres culturels s’efforcent de les rendre effectifs au travers de projets comme l’initiative développée à Waterloo. En tant qu’acteurs culturels, les centres culturels écoutent et encouragent l’expression des citoyens, les accompagnent dans leur capacité à penser le monde de façon critique et à oeuvrer pour et avec eux en faveur d’un monde plus juste et plus égalitaire. Au Centre culturel du Brabant wallon, citons le projet #Essentiel mené en collaboration avec les centres culturels d’Ittre et de Braine-l’Alleud, Infor Jeunes, le Service de Prévention du Brabant wallon, ainsi qu’le Collectif des Maisons de Jeunes du Brabant wallon, pour créer un spectacle interactif, invitant à la réflexion et au débat entre jeunes et adultes autour de la période charnière qu’est l’adolescence. De leur côté, le Réseau brabançon pour le droit au logement et la Maison de l’urbanisme ont développé le projet « Avec les autres » dans cinq quartiers de logement public à Ottignies-Louvain-la-Neuve, afin de nouer des liens et rompre l’isolement des habitants.
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