« Construisons moins, réinventons plus »
La structuration du territoire autour de la voiture, modèle qui a contribué à l’étalement urbain, est à bout de souffle, estime Sylvain Grisot. Il publie un Manifeste pour un urbanisme circulaire et appelle à revoir complètement la manière dont on fabrique la ville. Et vite. Car la cité de 2050 se construit aujourd’hui.
Texte : Xavier Attout Photo : Neolegia
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Un succès pour un sujet de niche. Avec 2 000 exemplaires vendus depuis la mi-février, l’urbaniste nantais Sylvain Grisot, fondateur de l’agence de conseil et d’innovation pour la transformation de la ville dixit.net, est le premier étonné de voir son Manifeste pour un urbanisme circulaire susciter autant de commentaires. La preuve qu’il est temps de changer de modèle ?
ESPACE-VIE. La période de confinement que nous avons traversée a notamment été propice à la réflexion sur les questions du partage de l’espace public. Avez-vous senti que les thématiques que vous mettez en avant, comme l’urbanisme circulaire et l’urbanisme tactique, ont eu davantage d’écho ces derniers temps ?
SYLVAIN GRISOT. Il y a eu en effet une accélération des questionnements sur ces matières. Les changements induits par cette crise sanitaire poussent à réinventer la manière dont on aborde le territoire et son environnement. La crise est un moteur de changement. Elle révèle nos fragilités. Nous devons en tirer des leçons pour le futur, pas pour adapter nos espaces à cette seule pandémie ou aux suivantes, mais pour les rendre adaptables aux crises et changements à venir. Je m’aperçois en tout cas que de plus en plus de citoyens se sont emparés de ces matières. C’est une satisfaction.
Quel est votre définition de l’urbanisme circulaire ?
Il est difficile d’accoler une définition précise. L’idée est avant tout de mettre fin à l’étalement urbain et de proposer de nouvelles manières de voir la ville. L’urbanisme circulaire propose de repenser les processus de fabrication de la ville pour bâtir une ville flexible capable de s’adapter en continu à l’évolution des usages. Elle doit être frugale en matériaux et en énergie, mais surtout en espace, par l’application des principes de l’économie circulaire. Cet urbanisme privilégie le recyclage des friches urbaines à l’étalement de la ville, la transformation des bâtiments existants à leur destruction, l’intensification des usages de l’existant à la construction. Nous devons apprendre à mieux développer la ville en construisant moins et en la réinventant plus.
La fin de l’étalement urbain et la densification à proximité des lieux de services et des transports en commun sont des concepts aujourd’hui bien ancrés. Avec l’urbanisme circulaire, l’idée est d’aller un cran plus loin ?
Je ne sais pas exactement comment cela se passe en Belgique mais je pense que la situation est relativement similaire à la France. On discute depuis vingt ans des concepts de fin de l’étalement urbain et de reconstruction de la ville sur la ville. C’est devenu un lieu commun en urbanisme. Tout le monde est à peu près d’accord sur ces principes mais rien n’est mis en place concrètement pour les réaliser. Le plus souvent, on simplifie les discours, ce qui les dénature. Il est temps d’avancer.
Il semble y avoir un double discours entre les tenants des nouvelles tendances d’aménagement du territoire et la réalité de terrain, où le grand public rêve encore de quatre façades. Comment répondre à ce grand écart ?
Le principal problème est le déficit d’alternatives à la villa quatre façades. L’offre qui est actuellement déployée dans les centres urbains n’est pas suffisamment qualitative. Aujourd’hui, les gens ont le choix entre vivre dans une quatre façades ou dans une cage à poules. Cette tendance de créer des logements de plus en plus petits n’est pas une solution. En France, elle répond surtout à une défiscalisation des promotions immobilières. Il n’est pas normal que les typologies de logements soient déterminées par des questions fiscales. Résultat : il y a un déficit de grands logements et d’une offre urbaine qualitative.


L’urbanisme circulaire propose de repenser les processus de fabrication de la ville pour bâtir une ville flexible capable de s’adapter en continu à l’évolution des usages. Elle doit être frugale en matériaux et en énergie, mais surtout en espace.
Sylvain Grisot, urbaniste
Vous évoquez dans votre ouvrage l’ambition de développer une ville frugale, proche, résiliente, pour tous et flexible. N’est-ce pas une vision idéaliste de la ville quand on voit les modèles qui se sont développés aujourd’hui ?
Cette vision émerge déjà actuellement, mais par petits bouts. Notre société a été conçue autour d’une dépendance à la voiture dont il est nécessaire de se détacher. C’est une vraie nécessité. Et l’avènement de la voiture électrique ne changera rien, car sa fabrication a un impact carbone important. Ce qu’il faut, c’est avant tout réduire les distances parcourues.
Peut-on encore tendre vers ce type de ville ?
Quand on regarde l’histoire des villes, l’étalement urbain ne date que d’il y a cinquante ans. C’est très court. Avancer par petits pas ne mènera à rien. Évoquer la ville en 2050 est déjà presque trop tard. La ville de 2030 est celle que nous construisons aujourd’hui. Nous avons dix ans pour apprendre à faire celle de 2050. Une ville frugale, proche et pour tous. L’étalement urbain n’est pas le principal problème, ce n’est que le symptôme d’une fabrique de la ville qui ne sait pas faire autrement que de déléguer son aménagement à la voiture. Or, ce système ne fonctionne plus : embouteillages, pollution de l’air, augmentation des prix de l’immobilier, ségrégations territoriales, sécurité alimentaire, faible place donnée aux modes alternatifs à la voiture le démontrent. Les leviers du changement doivent être actionnés au plus vite.
OTTIGNIES, MODÈLE WALLON
C’est une première en Wallonie. Le projet Samaya, développé aux abords de la gare d’Ottignies par le promoteur BPI, a intégré une réflexion d’économie circulaire. S’il ne s’agit pas à proprement parler d’urbanisme circulaire, il intègre néanmoins un de ses composantes. Samaya doit en fait devenir le fer de lance d’une nouvelle génération de quartiers exemplaires et innovants. Le tout en mettant l’accent sur la réutilisation, la réparation, la rénovation et le recyclage des matériaux et produits existants.
Ce futur quartier de 11 hectares sera aménagé sur un terrain exploité par la société industrielle Benelmat. Il comprendra à terme près de 900 logements et sera organisé autour d’une dorsale verte dédiée à la mobilité douce (piétons, vélos, etc.). Cette voirie doit rythmer le développement des différents ilots qui seront conçus par des architectes différents en respectant l’environnement et la qualité de vie. Au plus proche de la gare, le projet prendra un caractère plus mixte intégrant quelques commerces, des espaces pour PME et bureaux, ainsi que des services. La construction des premiers appartements est en cours.
C’est quoi une ville frugale et résiliente ?
Pour construire un ville frugale, nous avons besoin d’avoir une ville qui encourage la proximité. Soit, offrir le choix aux habitants de laisser leur voiture au garage, en rapprochant les usages pour limiter les besoins de mobilité et en multipliant les alternatives à la voiture. Faire la ville pour tous, c’est donner à tout le monde la possibilité de vivre dans cette ville de la proximité. Bâtir une métropole vertueuse n’a aucun sens si une partie de ses habitants doit vivre dans une périphérie qui ne l’est pas. L’urbanisme circulaire est avant tout une ville dans laquelle nous avons envie de vivre. C’est très simple. La matière première d’une ville est le foncier. Or, il est aujourd’hui confisqué par sa valeur. Beaucoup d’espaces sont délaissés, d’autres sont sous-exploités. Il est temps de bien regarder la ville actuelle et de se demander si toutes les ressources sont bien utilisées. Dans la plupart des territoires, les responsables n’ont pas conscience du potentiel de leurs ressources. Le potentiel de végétalisation est par exemple gigantesque. S’il y a bien un endroit où il faut par exemple créer de l’espace public et des parcs, c’est sur les 48 % de l’espace d’une ville qui est dédié aux voitures.
De plus en plus de promoteurs poussent à la démolition-reconstruction des immeubles. Vous allez à contre-courant de ce principe en favorisant l’intensification des usages, la transformation de l’existant et le recyclage des espaces. Comment cela se traduit-il ?
La tendance actuelle est de démolir car cela coute moins cher et que c’est plus simple. Se concentrer sur le réemploi et la transformation des bâtiments permet de diminuer la production de déchets et les pertes d’énergie associées. Cela nécessite moins de béton mais plus d’intelligence. Il faut arrêter de construire des bâtiments dont l’obsolescence est programmée.
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