Comment les agriculteurs brabançons tentent de résister à la pression foncière ?

Comment les agriculteurs brabançons tentent de résister à la pression foncière ?
Période compliquée pour les agriculteurs brabançons. La pression immobilière pèse sur le prix de leur principal outil de travail qu’est la terre. Sans parler du fait que la densité de population amène critiques et incompréhensions sur la réalité de leur métier. De quoi ajouter une pression psychologique à la pression foncière.
Texte : Frédérique Hupin - Photos : Frédérique Hupin et Arnaud Ghys
Période compliquée pour les agriculteurs brabançons. La pression immobilière pèse sur le prix de leur principal outil de travail qu’est la terre. Sans parler du fait que la densité de population amène critiques et incompréhensions sur la réalité de leur métier. De quoi ajouter une pression psychologique à la pression foncière.
Texte : Frédérique Hupin - Photos : Frédérique Hupin et Arnaud Ghys
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On y retrouve désormais des nobles, des patrons, des hommes d’affaires, des financiers voire même des sociétés de gestion. Tous sont attirés par la terre, devenue valeur refuge. De quoi faire exploser les prix et complexifier encore plus l’accès à la terre. Le notaire Renaud Grégoire, interrogé en septembre dernier dans le journal agricole Le Sillon belge, le confirme d’ailleurs : « Au même titre que les autres segments de l’immobilier, la hausse du prix des terres agricoles se poursuit inexorablement. La faiblesse des taux d’intérêt, la rareté des biens mis sur le marché et la forte augmentation du prix des matières premières expliquent principalement cette constante hausse des prix ». Selon le dernier baromètre des terres agricoles de la Fédération du Notariat, sur les six premiers mois de l’année 2021, le prix moyen d’un hectare de terres agricoles en Belgique a fortement augmenté et enregistre une hausse de 10,3 %. Même constat dans le rapport de l’Observatoire du Foncier Agricole édité par la Wallonie : c’est en Brabant wallon que le prix moyen à l’hectare est le plus élevé (51 782 euros ha). Il est 1,7 fois supérieur au prix moyen wallon. Face à cette montée des prix, le portefeuille des agriculteurs ne fait pas le poids. Certes, le bail à ferme les protège et leur permet d’avoir une vision à long terme pour une partie des terres qu’ils cultivent, mais le stress règne le plus souvent pour bien plus de la moitié de leur surface. Résultat : le métier attire moins et les petits agriculteurs sont découragés. Arrivés à l’âge de la retraite, ils arrêtent sans repreneur, ce qui a comme conséquence une diminution du nombre d’exploitations agricoles et une augmentation de la superficie des fermes.
Comme les investisseurs ont plus de moyens financiers que l’agriculteur, on se dirige vers une agriculture de trust où de grosses structures financières font gérer leurs terres par des employés ou des structures indépendantes qui se sont équipées en machines.
Helmuth Veiders, rédacteur en chef de Der Bauer
La problématique des structures financières
Les investisseurs sont en tout cas aux aguets pour placer leur argent dans une valeur sure. Dès qu’une terre est à vendre en Brabant wallon, il ne faut pas longtemps pour qu’elle soit acquise. « Ce ne sont pas forcément des investisseurs qui chassent les (petits) agriculteurs, mais les fermes qui arrêtent faute de successeur, explique Helmuth Veiders, rédacteur en chef de Der Bauer, le journal du syndicat agricole germanophone. Alors on vend au plus offrant. Et comme les investisseurs ont plus de moyens financiers que le voisin agriculteur, on se dirige vers une agriculture de trust où de grosses structures financières font gérer leurs terres par des employés ou par des structures indépendantes qui se sont équipées en machines. Quand c’est le travail horaire qui fait la rémunération, la déresponsabilisation sur la qualité du travail arrive vite. On privilégie la rentabilité à court terme, on en fait le plus possible en le moins de temps possible. On rentre sur les terres même si la météo est mauvaise et on salit les routes en sus de tasser le sol. On sort l’épandeur même si les barbecues sont de sortie. Et c’est l’agissement d’un seul qui porte le discrédit sur toute une profession. » Benoît Lempereur est agriculteur à Perwez. L’agriculture est une histoire de famille chez lui. Il peut compter sur un patrimoine familial (son père, ses oncles) pour s’assurer une partie de son outil de production (des terres à cultiver sous bail à ferme) mais il doit mettre la main au portefeuille quand c’est possible. « Côté foncier, ce ne sont pas vraiment les habitants ou les nouveaux habitants qui posent problème, ce sont plutôt les grosses sociétés financières, explique-t-il. J’ai récemment acheté des terres que je cultivais et qui étaient mises en vente par le propriétaire (NDLR : l’équivalent de 5 % de la superficie qu’il cultive). Entre agriculteurs, ça se passe bien. Quand une terre est à vendre, on laisse d’abord la possibilité à l’agriculteur qui les cultive historiquement de les acheter. Mais on ne discute pas le prix car on sait que les propriétaires trouveront des acheteurs. Ça fait encore monter les prix. Ce que j’ai racheté, ça vaut le prix d’une très belle maison. Et tout ça pour ne rien avoir en plus puisqu’on les cultivait déjà. Mais on veut garder notre outil de travail. Ce qui nous fait peur car on ne pourra jamais acheter toutes les terres qu’on cultive ».
Après la pression foncière, la pression des citoyens
D’après les témoignages récoltés, les agriculteurs en ont en tout cas marre d’être la cible de tous les reproches. Quand ce n’est pas le coq qui chante, c’est la moissonneuse qui fait du bruit ou le tracteur qui provoque des embouteillages aux heures de pointe. Les inondations récentes ont apporté aussi leur lot de méprises quand ce n’était pas la chute de biodiversité et les épandages de pesticides. Il en ressort que tout le monde doit évoluer, l’agriculture aussi. Une meilleure communication semble incontournable pour apaiser les relations. En octobre dernier, Benoît Lempereur avait dessiné un coeur et un mouton en crop circles dans son champ, formant un parcours pédagogique qui a attiré plus de 650 personnes. Les agriculteurs voisins étaient de la partie pour guider les citoyens au sein du parcours semé de stands explicatifs sur toutes les mesures adoptées par les agriculteurs pour améliorer l’environnement. De nombreux organismes de vulgarisation et de conseil agricoles n’avaient pas hésité à mettre la main à la pâte ainsi que l’Agence de Développement Local de la commune pour coordonner l’évènement. « Il faut qu’on se mette ensemble pour redorer notre blason, même si ce n’est pas nous qui l’avons sali, explique Simon Lacroix, un agriculteur de Thorembais- Saint-Trond. On a voulu montrer au grand public ce qu’est vraiment notre métier et tout ce qu’on met en place pour préserver l’environnement ».
Au moment de reprendre la ferme familiale, la pression foncière pèse lourd sur les épaules de Simon Lacroix (37 ans). Il a dû se réinventer et se diversifier. Il s’est lancé dans « l’entreprise agricole » c’est-à-dire qu’il amortit ses machines agricoles en travaillant chez d’autres agriculteurs. Il élève des moutons dont la viande est vendue en colis en circuits courts. Il a continué ce qu’avait commencé son père, en augmentant la proportion de ses cultures dévolues à l’agriculture biologique. Il livre à un maraicher des produits issus de grandes cultures bio dont la production à grande échelle est facilitée par la mécanisation. Le maraicher se charge de la vente en direct et de la production de légumes sur petites surfaces en désherbant à la main. Une association qui a tout à gagner.
Le terrain que j’ai racheté vaut le prix d’une très belle maison. Et tout ça pour ne rien avoir en plus puisqu’on les cultivait déjà. Benoit Lempereur, agriculteur
La province du Brabant wallon est une terre particulièrement agricole
Près de 60 % de sa superficie y est dédiée, contre 44 % en moyenne pour la Wallonie. Logique géographique, le Brabant wallon est situé sur les meilleurs sols d’Europe en regard du modèle agricole qui prévaut. Les cartes numériques disponibles sur WalOnMap annoncent des sols sablo-limoneux et limoneux pour quasi l’entièreté de la province du Brabant wallon. Sous le sol, une géologie faite majoritairement de sables, abritant d’ailleurs la nappe phréatique des sables du bruxellien, encore une richesse. Un sous-sol sableux bien drainant qui évite les accumulations d’eau, surmonté d’une couche de limons fertiles. On y ajoute un climat tempéré, voilà un territoire idéal pour la pomme de terre (qui n’aime pas l’humidité) ou pour la betterave qui a besoin d’un sol profond sans cailloux. En Brabant wallon, c’est le froment qui occupe le plus d’espace avec 19 041 hectares qui lui sont consacrés. Les pommes de terre suivent (7 246 hectares) et les betteraves sucrières arrivent en troisième position avec 6 847 hectares. De quoi presque ressembler au croissant fertile mésopotamien qui a permis l’essor des premières civilisations. La proximité de Bruxelles et des grands axes en font également une destination attractive pour toute une classe moyenne en recherche d’espace, de verdure et de paysages bucoliques. La superficie dédiée au bâti (en ce compris les jardins) représente 25 % de la superficie totale de la province contre 15 % en moyenne en Wallonie. Le Brabant wallon demeure toutefois un territoire de plus en plus difficilement accessible économiquement.
Interview
« La pression foncière est un problème pour les agriculteurs »
Isabelle Evrard, députée provinciale en charge de l’agriculture
Quelles sont les difficultés rencontrées par les agriculteurs ?
Le Brabant wallon est caractérisé par la densité de terres agricoles la plus élevée de Wallonie. En parallèle, le Brabant wallon présente une densité de population importante, également la plus élevée de Wallonie. Cette situation engendre de nombreuses interactions entre les agriculteurs et les citoyens. Ces dernières années, nous avons constaté de nombreuses difficultés de cohabitation. Bon nombre d’agriculteurs souffrent de l’image véhiculée de leur métier et des conflits récurrents au sujet des nuisances sonores, olfactives, de la poussière, des pulvérisations ou encore de la circulation routière. D’autre part, la pression foncière très importante en Brabant wallon engendre une forte croissance de la valeur des terrains agricoles et, dès lors, une difficulté accrue d’accès au foncier pour les porteurs de projets agricoles ou les petites exploitations.
Comment la Province se positionne par rapport à cette situation ?
Pour les problèmes de cohabitation, notre volonté est de favoriser au maximum la communication et de renforcer la connaissance des impératifs agricoles auprès de la population. Nous avons élaboré une charte de la ruralité propre au Brabant wallon avec différents partenaires.
Quelles sont les perspectives d’actions à venir ?
Nous travaillons actuellement à l’identification du foncier agricole détenu par des administrations publiques sur le territoire. L’objectif à terme est d’élaborer avec les pouvoirs publics locaux des stratégies de gestion de ces espaces publics agricoles permettant de pérenniser les activités des agriculteurs locaux, d’améliorer l’accès au foncier agricole mais aussi de renforcer le maillage écologique (la biodiversité), la lutte contre les coulées boueuses et les inondations. Sans oublier d’également développer les circuits courts.
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