Au temps de la famine temporelle
Texte : Karima Haoudy
L’aménagement du territoire ? Pour qui et pourquoi ? C’est sous ce diptyque interrogatif que s’ouvre, en juin 1989, le premier Espace-vie. Un numéro 0 qui, dès son éditorial, amène tout de go l’enjeu d’un urbanisme participatif : pour qui et pourquoi ?
C’est dans un cadre joyeusement chamboulé qu’émerge Espace-vie : chantier de la révision des plans de secteurs et, dans la foulée, mise en oeuvre du décret décentralisation et participation. Un décret qui soutient la constitution de comités de citoyens – à l’époque les CCAT – qui s’engagent, à l’échelon communal, dans la définition de leur cadre de vie. Mai 68 n’est pas loin. Son souffle mâtiné d’utopie inspire Louis Leduc – le fondateur de la Maison de l’urbanisme, et de son extension éditoriale Espace-vie – à inscrire l’aménagement du territoire dans le paysage du quotidien, celui de la culture générale. Et ce, pour en faire une matière résolument collective.
Premier numéro et premières incursions citoyennes dans un domaine par trop réservé à quelques « spécialistes », souligne-t-on déjà à l’époque, qui en verrouillent l’accès à l’appui de codes et d’un langage hermétiques. On y parle de savoir technocratique et de l’importance de réhabiliter le savoir social, celui-là même qui est pétri de l’expérience de l’usage dont l’habitant peut aussi se faire valoir. L’accent est mis sur l’importance de la formation des citoyens et du rôle de la Maison de l’urbanisme dans ce processus long et laborieux. Car une participation sans savoirs est une échelle sans barreaux, scande l’urbaniste Thierry Paquot.
L’importance de ce capital culturel dans le processus participatif se mesure encore aujourd’hui, au coeur même de ce 300e numéro, mais on perçoit aussi ses indéniables limites et ses coriaces verrous (tiens ! les revoilà). La participation reste majoritairement l’affaire de ceux qui ont la maitrise de l’expression (écrite et verbale), de la prise de conscience d’appartenir à un lieu, de se l’approprier suffisamment pour avoir la volonté de le transformer. L’aménagement du territoire, pour qui ? La question est toujours d’actualité. Mais trente années plus tard, elle se voit prolongée par la question du temps, ou plutôt du manque de temps.
L’aménagement du territoire, pour qui ? Pourquoi ? Et quand (y consacrer du temps) ? Comment, en effet, assurer une participation qui s’étire dans le temps dans le contexte de l’accélération de nos modes de vie ? Comment appréhender les mutations de nos paysages dans un temps libre réduit à peau de chagrin ? Et aussi, comment associer temps long de l’urbanisme et temps présent, fugace, de la participation-réaction ? Pas de réponses à ces questions qui mettent à jour, après trois décennies d’existence d’Espace-vie, le paradoxe entre une participation en aménagement du territoire qui se nourrit du temps et la famine temporelle, contemporaine.

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