
Au début était Minecraft
Le Liège Game Lab utilise le jeu vidéo de construction comme outil de médiation culturelle dans des projets de réinvention urbanistique. Les jeux vidéos sont aussi objets culturels et, depuis quelques années, sujets de recherche.
Texte : Caroline Dunski – Photos : Liège Game Lab
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Quelque 126 millions de joueurs actifs s’adonnent à Minecraft. Créé en 2011 par le studio Mojang (racheté depuis par Microsoft), ce jeu vidéo de construction, à la manière de Lego, plonge le joueur dans un monde composé de blocs, représentant différents matériaux et formant diverses structures et êtres vivants, existants ou fictifs. Il se joue en mode « créatif » (le joueur ou la joueuse crée un monde à partir de ressources illimitées) ou en mode « survie » (le joueur ou la joueuse affronte des monstres et doit fabriquer des outils pour se défendre). Le Liège Game Lab [1] l’a utilisé en mode créatif comme outil de médiation culturelle dans un projet de réinvention urbanistique pour la place du Vingt Août, qui abrite le bâtiment central de l’Université de Liège (ULg). LiègeCraft est un dispositif interrogeant le réel et proposant une série de relations à l’espace public, par le biais du jeu vidéo. Les « LiègeCrafteurs » prennent part à des ateliers dans lesquels leur mission est de reproduire Liège dans ses moindres détails, sur des cartes 3D, à partir de photographies, de prises de vue en réalité virtuelle, de visites in situ, etc. Ensuite, dans le cadre du « LiègeCraft Challenge », ils repensent la ville et la transforment.
Le jeu vidéo sujet de recherche
Pour Pierre-Yves Hurel (ULg), le jeu vidéo est un sujet de recherche aussi légitime que le cinéma, la littérature, l’architecture et tous les autres domaines artistiques. « Les recherches sur les jeux vidéo ont commencé au début des années 2000 côté anglophone et vers 2004-2005 côté francophone. Depuis lors, la recherche a beaucoup évolué et elle est devenue aussi normale que la recherche consacrée à d’autres médias. » Dès janvier 2021, l’ULg et la Haute École de la Ville de Liège (HEL) lancent un certificat (de 20 crédits) ntitulé « Travailler avec la culture vidéoludique ». Il permettra aux enseignants et aux animateurs de différents organismes culturels de comprendre, analyser et partager une culture spécifique comportant ses propres codes, son langage spécialisé, ses références, ses genres et ses conceptions du monde.
Comme le cinéma et la pratique photographique en amateurs, le jeu vidéo donne lieu à des sociologies affinitaires.
Pierre-Yves Urel

9 pistes d’aménagement
Neuf idées citoyennes inspireront les projets de réaménagement de la Place de la Station, à Houtain Saint-Siméon.
- Travailler sur la végétalisation
- Moderniser l’espace de jeux pour enfants
- Créer une piste cyclable reliée au Ravel
- Installer des bacs potagers gérés par les riverains
- Créer un éclairage public esthétique
- Enterrer les bulles à verres
- Réaménager l’espace de stationnement
- Limiter la vitesse de circulation à 30 km/h
- Organiser un cheminement piéton
De la médiation à la participation
Le dispositif était présenté à Mons fin 2019, lors du 4e colloque « Agir dans la ville. Art et politique dans l’espace urbain ». À cette occasion, l’équipe du Liège Game Lab soulignait que « la capacité de destruction, certes restreinte par les composantes du dispositif et les paramètres ludiques de Minecraft, induit également un transfert de pouvoir aux animés : la capacité de s’émanciper dans la production de cartes, traditionnellement réservée à des initiés (professionnels, institutions, pouvoirs publics, etc.). Cependant, ce pouvoir reste relativement symbolique et le dispositif LiègeCraft doit être imaginé comme un outil d’éducation populaire – voire, osons le mot, d’éducation politique – à placer dans un dispositif de médiation. »
La participation citoyenne ne se met pas en place très facilement. Elle nécessite que les gens surmontent leurs a priori, qu’ils soient conscients qu’il n’y a pas de manipulations ou de mensonges.
Wendy Magermans
Le jeu vidéo objet culturel
Pour Pierre-Yves Hurel (ULg), qui a consacré sa thèse de doctorat à la pratique du jeu vidéo en amateur, « on peut faire le parallèle entre la création de jeux vidéo à partir de logiciels libres et les clubs de cinéastes ou de photographes amateurs. Comme ces disciplines, le jeu vidéo donne lieu à des sociologies affinitaires. On voit émerger énormément de clubs d’electro-gaming. Beaucoup de relations sont nourries par les jeux vidéo, comme par toute production culturelle. Les joueurs se regroupent en communauté en ligne pour s’entraider, critiquer leurs jeux, débattre des qualités et défauts d’un jeu, ils vont regarder les autres jouer… On a souvent cette image très caricaturale de la personne en fusion avec son écran, mais quand je lis un livre, personne ne vient me dire ‘lâche ça et va dans un parc’. Quelqu’un qui lit va dans des librairies, peut s’essayer à la critique, à l’écriture… Pour les joueurs de jeux vidéo, c’est le même schéma. »
À la suite du colloque, le service Citoyenneté de la commune d’Oupeye a confié au Liège Game Lab la mission de concevoir OupeyeCraft comme outil de participation citoyenne au réaménagement de la Place de la Station, à Houtain Saint-Siméon, une des sept entités de la commune. Objectif du projet : rénover cette place un peu vétuste dès 2021, en incluant les citoyens au processus, afin qu’elle plaise au plus grand nombre, y compris les plus jeunes, et soit pleinement utilisée par les habitants. Deux Cafés citoyens ont d’abord rassemblé les habitants, les associations et les commerçants du petit village de 2 000 âmes, pour discuter du projet communal et lancer les premières pistes d’aménagement. Le service Citoyenneté a ensuite invité les citoyens à télécharger les cartes d’OupeyeCraft pour y apporter tous les aménagements souhaités. Les cartes permettant de visualiser les suggestions d’aménagement de la Place de la Station devaient être rentrées pour le 15 octobre, afin d’être exposées publiquement et soumises au vote.
Surmonter les a priori
« La participation citoyenne ne se met pas en place très facilement, souligne Wendy Magermans, stratégiste en participation citoyenne. Elle nécessite que les gens surmontent leurs a priori, qu’ils soient conscients qu’il n’y a pas de manipulations ou de mensonges. La crise sanitaire n’a pas encouragé les gens à se déplacer pour participer aux séances d’ateliers prévues dans l’école communale. Celles-ci ont aussi dû être reportées à deux reprises. L’idée d’utiliser le jeu était chouette, mais la réalisation à distance n’a pas permis de franchir l’obstacle de l’a priori négatif sur les jeux vidéos. Néanmoins, les deux cafés citoyens, qui ont chacun réuni une cinquantaine de personnes, parfois les mêmes, ont sans doute permis de faire le tour de la question et les neuf idées qui ont émergé à cette occasion inspireront les projets de réaménagements de la place. OupeyeCraft aurait ajouté une couche supplémentaire à la participation citoyenne et la commune ne renoncera pas à utiliser le jeu vidéo pour d’autres appels à participation citoyenne. »
[1] Le Liège Game Lab, créé en janvier 2016 et émanation du Lemme (Laboratoire d’étude sur les médias et la méditation, fondé fin 2013 au sein du département des Arts et sciences de la communication de l’ULG), est un laboratoire de recherche interdisciplinaire qui travaille sur le jeu vidéo comme objet culturel.
Une version verte de la place Cockerill © Liège Game Lab
Le jeu vidéo outil d’animation
Dans LiègeCraft ou OupeyeCraft, Minecraft est utilisé comme outil d’animation pour nourrir les imaginaires. À Liège, d’octobre à décembre 2019, à travers des ateliers créatifs de médiation culturelle, un dialogue sur l’espace public et sur son aménagement s’est engagé entre les citoyens, les associations et les institutions publiques. L’objectif principal du projet était de favoriser le développement d’une communauté participative, ensibilisée aux projets liés à l’urbanisme et au patrimoine. « Le médiateur culturel y joue le rôle de liant, en tant qu’il permet de coordonner les animés dans l’appréhension de l’espace comme étant double : un espace de représentation en tant que carte d’un lieu réel parcouru à chaque atelier, ainsi qu’un espace virtuel habité, vécu et expérimenté pour lui-même. » Les animés étaient invités à s’approprier la carte reproduisant les moindres détails du quartier de l’ULg afin d’imaginer leur propre version. « Deux types de projets ont été observés. D’une part, des itérations mélioratives induisaient une reconfiguration du réel et visaient donc à modifier la carte comme représentation de Liège. D’autre part, des projets visaient à modifier la carte vidéoludique en tant que LiègeCraft, espace virtuel dont le réel est soustrait. Il en a résulté un double habiter : habiter Liège ou habiter LiègeCraft. »
Interview

Jeux et justice spatiale
Hamza Bashandy, chercheur à la faculté d’architecture de l’ULg, qui consacre sa thèse doctorale à la représentation des cartes, de l’espace et de l’architecture dans les jeux vidéo.
Propos recueillis par C. Du.
Des jeux comme Pokémon Go, Géocaching, Assassin’s Creed peuvent-ils servir à la réhabilitation de lieux-dits et/ou patrimoniaux ?
Si vous utilisez le terme « réhabilitation » dans un contexte d’héritage culturel, les questions qu’il faut se poser dès le début est pourquoi veut-on réhabiliter un espace ou un lieu ? Pourquoi il a été abandonné et quel est son positionnement géographique par rapport à la ville et aux communautés voisines ? Dans les trois exemples que vous citez, on peut distinguer deux catégories différentes : Pokémon Go et Géocaching sont des « location-based games », qui dépendent d’espaces et de cartes physiques et existantes, tandis qu’Assassin’s Creed est un jeu vidéo qu’on joue avec des consoles (PC, PS, etc.). Le jeu se déroule dans des espaces qui résultent d’un mélange entre le réel et le fictionnel. Il existe des recherches sur l’impact de jeux tels qu’Assassin’s Creed sur la mémoire et la nostalgie qu’ils créent[1]. Les « location based games » ont bien sûr le potentiel pour attirer les joueurs et les joueuses dans certains endroits, mais il faut se demander ce qui a motivé le choix de lieux-dits et /ou patrimoniaux dans le chef du créateur ou de la créatrice du jeu. Est-ce que le jeu est développé par des gouvernements ou des ASBL pour des projets de patrimoines spécifiques ou est-il développé par des entreprises commerciales, comme Niantic, le développeur de Pokémon Go, avec des intérêts plutôt capitalistes ?
Ces jeux contribuent-ils à un renforcement des inégalités géographiques entre les quartiers à la mode et les communes pauvres comme Molenbeek, comme l’a souligné le quotidien flamand Het Laatste Nieuws au moment de la sortie de Pokémon Go ?
En fait, je ne suis pas sûr que le mot « contribution » fonctionne bien dans ce contexte. Les communes comme Molenbeek sont déjà le résultat des systèmes d’exclusion et de ségrégation appliqués par les gouvernements et les autres communautés. Je ne pense pas qu’une entreprise comme Niantic aura un intérêt à appliquer de la justice spatiale dans son jeu. Pour moi, ces jeux justifient plutôt cette injustice. Le premier but d’entreprises telles que Niantic (Pokémon Go) ou Mojang (créature de Minecraft Earth) est le profit. Elles collaborent avec d’autres enseignes commerciales qui les rémunèrent pour avoir des Pokémons proches de leur magasin et donc avoir plus de clients.
[1] Video Games as Objects and Vehicles of Nostalgia, Péter Kristóf Makai, 2019, ou The Fantasy That Never Takes Place : Nostalgic Travel in Videogames, Christopher Goetz, 2018.
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