« L’opposition à un projet est surtout liée à la crainte de perdre ce que l’on possède »

« L’opposition à un projet est surtout liée à la crainte de perdre ce que l’on possède »
S’opposer à un projet immobilier active une série de ressorts psychologiques qui peuvent être parfois considérés comme naturels. Les dynamiques de mobilisation en aménagement du territoire ont en tout cas nettement évolué ces dernières années. Surtout en Brabant wallon.
Texte et photo : Xavier Attout
S’opposer à un projet immobilier active une série de ressorts psychologiques qui peuvent être parfois considérés comme naturels. Les dynamiques de mobilisation en aménagement du territoire ont en tout cas nettement évolué ces dernières années. Surtout en Brabant wallon.
Texte et photo : Xavier Attout
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Abraham Franssen, docteur en sociologie, est professeur de sociologie de l’action collective à l’Université Saint-Louis- Bruxelles. Il évoque avec nous les ressorts psychologiques qui sont activés lorsque des habitants sont confrontés à des opérations de densification et d’évolution de leur environnement.
Comment peut-on expliquer les réticences des habitants à voir leur environnement évoluer ?
ABRAHAM FRANSSEN. C’est un processus qui n’est pas neuf, surtout en Brabant wallon. Même si on admet qu’il y a une aspiration naturelle à défendre son chez-soi, il faut reconnaitre que cette opposition est perçue différemment selon le niveau socio-économique des habitants. Ce ne sont pas les plus précarisés qui s’opposent le plus. Tout le monde parle d’accélérer la densification des territoires mais les oppositions sur le terrain restent vives.
Comment expliquer cette réaction, alors que la plupart des habitants ont profité de cette densification ?
Le point de départ est toujours lié à la présence d’un groupe qui a des intérêts divergents à faire valoir. Le Brabant wallon est un bon exemple car les réticences au changement sont plus importantes. Il y a davantage de propriétaires et une population qui dispose de ressources culturelles et économiques plus importantes. Ils ont donc davantage de capacités à faire valoir leurs droits. L’espace peut être un champ de bataille sur lequel ils peuvent s’exprimer.
Quand des habitants déménagent, il y a aussi cette dimension d’acheter un cadre de vie qu’ils ne veulent pas voir évoluer…
En effet. Ils se créent un imaginaire particulier qu’ils ne pensent pas voir évoluer. Ce phénomène est très présent lorsque des habitants ont construit une maison 4 façades, d’où les résistances assez fortes aux politiques de densification. Et puis, il y a également le plus souvent un conflit d’usage. Dans certaines communes du Brabant wallon, un conflit latent persiste entre ruraux et néoruraux. Le rapport à l’espace y est très différent. Le passage des tracteurs, les coulées de boue ou le chant du coq sont perçus bien différemment des deux côtés. Quand la population est plus homogène, il est plus facile de cohabiter.
Le sentiment d’avoir acheté un cadre de vie est un phénomène très présent lorsque des habitants ont construit une maison 4 façades, d’où les résistances assez fortes aux politiques de densification. Abraham Franssen, sociologue
Cette cohabitation est plus aisée en ville ?
Les conflits d’usage sont bien évidemment moins présents puisque les nuisances de départ sont connues de tous. Par contre, les phénomènes de gentrification ou de changement de composition sociale sont plus marqués. Des tensions peuvent apparaitre auprès de populations qui sont évincées suite à l’arrivée de nouveaux habitants dans des immeubles neufs plus haut de gamme. En Brabant wallon, la situation peut être différente. Les gens ont tendance à s’ignorer et à ne pas se connaitre. Des rivalités peuvent même apparaitre. Par contre, lorsqu’un nouveau projet immobilier apparait, ils se coalisent contre l’intrus et les tensions s’effacent alors. Les deux seules fois où j’ai croisé mes voisins, c’est lorsque nous nous sommes opposés à des projets immobiliers : la construction d’une éolienne et la construction d’un hangar agricole !
Les dynamiques de mobilisation en aménagement du territoire ont-elles évolué ces dernières années ?
L’acceptation de l’ordre établi est de plus en plus remise en question. Les habitants estiment qu’une décision où ils n’ont pas eu voix au chapitre est une décision illégitime. Il y a un sentiment de dépossession. Ce qui déclenche cette opposition est surtout lié à la frustration, à la crainte de perdre quelque chose que l’on possède. D’autant plus en immobilier, avec le fait que ces propriétaires ont posé des actes pendant des décennies pour posséder ce bien. La relation est donc beaucoup plus forte.
Quelle est votre vision du phénomène NIMBY (Not In My BackYard) ?
Il désigne les discours et les pratiques d’opposition de populations riveraines à l’implantation – existante ou projetée – d’installations nouvelles. Et il met aussi aux prises différents acteurs (promoteurs, riverains, autorités, médias). Mais le Nimby possède surtout une connotation négative. Il est utilisé pour disqualifier et défendre des intérêts particuliers. Il faut relever néanmoins que, dans la plupart des dossiers, l’opposition mène à des compromis. C’est rarement noir ou blanc.
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